Le titre de ce billet est peut-être inapproprié : son contenu est plutôt un condensé, écrit de mémoire et donc interprété, de ce que j'ai retenu d'essentiel. En espérant expliciter assez clairement, sans trop d'omissions ni de déformations, la pensée du philosophe... et vous donner envie de le lire (l'effort en vaut la peine).

En introduction, Castoriadis commence par critiquer le marxisme : en l'inscrivant dans une perspective historique, il établit que ses prémisses comme ses conclusions n'ont rien d'absolu (qu'une révolution conduise à la dictature du prolétariat implique qu'il existe un "prolétariat" et des "révolutions"; ces dernières, supposées causées par un décalage entre le social et l'économique, impliquent qu'il existe une sphère "économique" largement autonome, etc...).

Il en conclut qu'aucune théorie de l'histoire ne peut avoir de sens : ce qui est applicable au marxisme s'appliquerait à toute autre théorie, parce qu'elle s'appuierait sur des concepts institués lors du processus historique.

Dit autrement, l'histoire crée de l'altérité : elle crée ex-nihilo des choses nouvelles... et on ne peut en établir de théorie générale, forcément bâtie sur des bases qui n'existent pas encore !

Cette altérité est créée à différents niveaux : la psychologie de l'individu s'appuie sur l'imaginaire radical (qui crée des représentations nouvelles), mais le corps social fait de même : il existe un imaginaire social.

L'imaginaire social engendre un magma de significations, de références, d'objets, de rôles, qui prennent un sens pour la société considérée (inversement, ce qui ne se conforme pas à ce système de représentations n'existe pas pour la société en question).

Castoriadis appelle ces représentations / significations des institutions.

Exemple : l'existence de machines, même en grand nombre, ne suffit pas à engendrer le capitalisme (dit autrement... la technique n'est pas autonome). Le capitalisme apparaît parce qu'il existe des notions de "capital", de "moyens de production", des rôles de "capitaliste" ou de "salarié", une division du travail, un objectif d'accumulation de richesses...
Ces notions sont instituées, elles ne vont pas de soi (il y a des sociétés pour lesquelles elles n'existent pas).

Castoriadis se demande ensuite par quel processus l'imaginaire social institue la société et ses significations.

Il le fait en analysant le regard que porte sur elles la pensée héritée, qu'il assimile à la logique ensembliste / identitaire : la pensée traditionnelle s'appuie sur la possibilité de séparer / distinguer, puis d'assembler / regrouper en catégories, comparer, etc...
Ces opérations sont ensemblistes, et ce type de logique est à la base du langage comme de la technique. Il est donc très difficile d'en sortir !

La pensée héritée va souvent jusqu'à assimiler la réalité à la logique ensembliste / identitaire : c'est là que Castoriadis diverge de l'avis général.
Il ne nie pas que cette logique ait une prise importante sur la nature et le réel (langage et techniques sont appropriés pour le façonner), ni qu'elle ne puisse s'en abstraire totalement (on ne peut imaginer une société qui ignorerait la nécessité pour ses membres de se nourrir...)

Mais il adopte une vision plus large, et définit essentiellement deux forces à l'oeuvre dans l'institution de la société :
- La première, appelée legein, étend la notion de langage (il s'agit du dire / représenter, et le langage est son code).
- La seconde, appelée teukhein, étend la notion de technique (il s'agit du "faire" social, et la technique est son code).

Legein et teukhein ont une forte coloration ensembliste (le langage et la technique), mais vont au-delà, ayant notamment le pouvoir de créer ex-nihilo de l'altérité : quelque chose de radicalement nouveau, qui n'existait pas à l'intérieur du système, et qui ne peut en être dérivé par des opérations ensemblistes.

C'est par leur biais que les institutions (significations, rôles, finalités...) qui façonnent la société sont créées, et que s'exprime l'imaginaire social : il y a donc bien institution imaginaire de la société.

Le philosophe nous apprend donc à nous méfier des idées reçues : ce sur quoi nous appuyons notre raisonnement et nos analyses a été institué, et n'a souvent de sens que pour la société et l'époque dans lesquelles nous nous trouvons...

Petit clin d'oeil personnel, en conclusion : peut-il exister une "science économique" ?