Les débats se font de plus en plus vifs autour de Wikipedia, encyclopédie collaborative alimentée librement par les internautes, et dotée d'un système de contrôle extrêmement laxiste (seules les publications grossièrement abusives sont rapidement censurées - racisme ou discrimination notoires, par exemple).
Quelques incidents ont été montés en épingle (un ancien collaborateur de Kennedy y aurait été accusé à tort d'être impliqué dans son assassinat !), et de nombreux intellectuels fustigent l'à-peu-près qui préside à la publication des articles (qui ne sont validés par aucune autorité légitime, autre que les internautes eux-mêmes).
Wikipedia ne serait donc pas une "encyclopédie", et le terme pourrait même tromper des internautes mal informés (une encyclopédie est censée ne publier que des connaissances validées, sans biais idéologique, en l'état du savoir humain de l'époque - or, Wikipedia ne saurait être lue sans esprit critique).
Toutefois, une étude parue dans "Nature" crédite Wikipedia d'un taux d'erreurs assez proche de celui relevé dans l'indiscutable "Encyclopaedia Britannica".
Alors, encyclopédie ou supercherie ?

Le débat ressemble fort à celui qui oppose les tenants d'une théorie de l'évolution finaliste (l'évolution ayant un but - que certains assimilent même à Dieu !) à ceux de l'approche évolutionniste (l'évolution résultant de l'action conjointe du hasard et de la nécessité, pour faire court).
Ou encore, aux deux écoles de l'Intelligence Artificielle : les cognitivistes (qui pensent que l'on peut modéliser l'intelligence, pour la programmer dans un ordinateur par exemple) et les connexionnistes (qui pensent que l'intelligence est une fonction adaptative, qui naît spontanément dans certains systèmes complexes - comme les réseaux de neurones).

Ce qui est sous-jacent, c'est la notion d'auto-organisation : l'organisation naît-elle d'une volonté consciente, ou peut-elle apparaître et croître spontanément ?

Dans le cas de Wikipedia, une encyclopédie engendrée par un processus d'auto-organisation peut-elle exister ?
Ou alors, le seul modèle viable est-il le modèle académique traditionnel, dirigé et finalisé ?
Enfin, l'un de ces modèles est-il supérieur à l'autre (si tant est qu'ils soient mutuellement exclusifs) ?

Quoiqu'il en soit, et quoiqu'il advienne, l'avenir sera passionnant : le fait même d'être partie prenante dans cette aventure pourrait changer notre relation au savoir, si ce n'est notre vision sociale et politique.

L'agitation, elle aussi, n'est pas près de se calmer : ne serait-ce que parce que des privilèges et des positions sociales, économiques, scientifiques établies sont en jeu.

Quant à faire des pronostics...