Blog - Pierre-Yves Gibello

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vendredi, février 5 2021

Le vaccin covid19 marche-t-il ? Quelques mathématiques niveau 3ème...

Après avoir voulu croire au vaccin, j'avoue avoir été très surpris par la courbe des contaminations en Israël : à ce jour (4/2/21), la hausse du nombre de cas y est continue et très élevée depuis plus d'un mois. Dans le même temps, 61% de la population a été vaccinée (dont au total 25% et 40%, respectivement 3 et 2 semaines auparavant).

Bien sûr, les contaminations vont finir par baisser... Mais elles auraient dû s'écrouler, non ? Le vaccin serait-il inefficace ? Conclusion sans doute hâtive, mais alors... que se passe-t-il ?

C'est ici que quelques mathématiques niveau 3ème peuvent nous aider à comprendre... Intéressons-nous au pourcentage d'immunité.

En considérant :
p = pourcentage de la population vaccinée
e = efficacité du vaccin
v = pourcentage de la population immunisée par infection virale (approximativement, ceux qui ont contracté le covid dans l'année écoulée).

Sont immunisés :
- La part des vaccinés (pourcentage : p) que le vaccin protège, compte tenu de son efficacité (donc : e x p).
- La part des non-vaccinés (pourcentage : 1-p) immunisés par infection naturelle (donc : v x (1-p)).

Le pourcentage d'immunité se calcule donc comme suit :
I = ep + v (1 - p)
= p (e - v) + v

L'immunité collective est supposée atteinte lorsque I = 60% (à en croire les experts), soit:
0.6 = p (e - v) + v

Supposons v constant, pour simplifier (ce qui n'est pas si faux, si on considère une immunité acquise d'au moins 1 an par les malades, et une dynamique de vaccination bien plus rapide que celle de l'épidémie).

Exemple avec une efficacité de 70% et 20% de la population infectée naturellement (e = 0.7, v = 0.2) :

0.6 = 0.5 p + 0.2
p = 0.8 = 80%

Un vaccin efficace à 70% nécessiterait de vacciner... 80% de la population (avec 20% d'immunisation naturelle).

Note: si l'efficacité passe à 60%, l'immunité collective n'est atteinte qu'avec 100% de la population vaccinée. En effet : 0.6 = 0.4 p + 0.2
0.4 p = 0.4
p = 1 = 100%

Un vaccin efficace à moins de 60% nécessiterait un taux d'immunisation naturelle supérieur à 20% : il ne servirait pas à grand chose, hors population à risque !

Qui plus est, si on se limite à la population adulte (en France, environ 75% du total), le pourcentage nécessaire est encore plus élevé : avec un vaccin efficace à 70%, ce n'est plus 80% des gens qu'il fadrait vacciner, mais... 80% / 75% = 107% des adultes (bref... tous !).

Un vaccin efficace à moins de 70% ne permet donc jamais d'atteindre l'immunité collective, même en vaccinant tout le monde (sauf si on vaccine aussi les enfants... ou si plus de 20% de la population contracte le Covid dans l'année, ce qui serait un échec !)

On peut aussi se demander ce qu'il advient avec un taux d'acceptation du vaccin de 60% (à-peu-près celui qu'on peut espérer en France, à ce jour).

Dans ce cas (p = 0,6) :

I = 0.6 e + 0.2 (1 - 0.6) = 0.6 e + 0.08

Pour obtenir I = 60%: 0.6 = 0.6 e + 0.08
Soit: e = 87%.

En vaccinant 60% de la population, une efficacité vaccinale de 87% est nécessaire à atteindre l'immunité collective. Si on ne vaccinait que les adultes, l'efficacité devrait dépasser 100% (87% / 75% = 116% !), ce qui est impossible.

Ceci explique donc les chiffres israëliens : un vaccin un peu moins efficace qu'annoncé, et il faut vacciner tout le monde avant d'obtenir ne serait-ce qu'une amorce de fléchissement.

Que peut-on en conclure ?

1) L'immunité collective est inaccessible par la seule vaccination, sauf à vacciner tout le monde avec des vaccins très efficaces.

2) Même en cas de succès, il est probable qu'il faudrait re-vacciner sans relâche !

3) Ce résultat contre-intuitif est pourtant accessible par une modélisation extrêmement simple (voire simpliste) : comme quoi, quand on ne comprend pas, il faut poser les calculs !

4) Avec des variants plus contagieux, ce serait bien pire : le taux d'immunisation nécessaire dépassant alors largement les 60% (note : c'est 1 - 1/R0, soit 75% si R0=4 et 80% si R0=5, R0 étant le taux de reproduction initial).

5) Soit nos gouvernants ne sont pas dotés d'un niveau 3ème en mathématiques, soit ils se fichent de nous...

Le vaccin est donc une solution partielle (certainement peu efficace hors publics à risque, en cas d'efficacité vaccinale inférieure à 70%).
Nous devons en trouver d'autres, et on en connaît déjà beaucoup : rechercher des thérapies et traitements de prévention, laisser les publics à risque faible s'immuniser naturellement, renforcer nos capacités hospitalières, se maintenir en bonne santé par le sport et l'alimentation, adopter des gestes barrières en cas de flambée, etc...

Toutes ces solutions coûtent moins cher que le développement effréné de vaccins, mais rapportent moins à certains acteurs de la santé qui semblent à même de vacciner nos décideurs contre le bon sens ;)

mardi, avril 21 2020

Prépare-toi à l'open-data : prochain combat du libre !

Alors voilà, le logiciel libre çà t'est venu comme comme çà : à force de te crever la paillasse à développer des trucs aux petits oignons, pour l'usage exclusif d'un client qui n'en a pas grand chose à battre, quand c'est pas carrément la poubelle. Des trucs qui gouvernent ta vie, qui plus est... Certes, avec la consolation d'un salaire que pas mal de contemporains t'envient : bienvenue dans le monde doré du bullshit job de luxe ! Ca pourrait être pire, t'aurais pu faire avocat d'affaires.

Donc t'as pris un bout de code, bien joli et dont t'étais fier, et tu l'as collé en douce sur un serveur public. Sous format tar ou zip ou je ne sais quoi, doc en mauvais anglais, et com discrète : quelques mails, forums spécialisés, embryons de moteurs de recherche du temps d'avant github, svn, stackoverflow, twitter, facebook, google et qwant. Pas plus mal, des fois que ton cher employeur découvre trop vite le pot aux roses !

Et chaque jour t'as maté les logs, les downloads qui montent, venus d'outre-atlantique ou d'ailleurs, d'inconnus profonds mais aussi d'Oracle, Microsoft, Borland ou Apple, du MIT, du CNRS, et là t'en croyais pas tes yeux, un gosse à Noël, t'as même reçu des mails en angliche de cuisine avec l'air véridique.

Comme çà on a tous appris sur le tas : au fil des bugs, des patchs géniaux ou pourris envoyés par un Chinois ou un Grec, des remarques bienveillantes, acerbes ou moqueuses, des régressions que t'as introduites comme un gland parce que t'avais pas de tests, pas de gestion de conf, pas d'historique, rien du tout. Et je parle même pas de la licence : avec un peu de chance, t'as fini par t'y intéresser avant le tribunal.

Eh ben, l'open-data, c'est pareil.

Un jour t'en as marre des couleuvres qu'on te fait avaler. Alors tu vas chercher des sources indépendantes, ou jugées fiables, venant d'institutions publiques, de journalistes, d'activistes ou de qui tu voudras.

Et tu commences à les parser, agréger, nettoyer, harmoniser... avant de les coller sur un dépôt github ou ailleurs, d'en causer à quelques statisticiens qui se foutent gentiment de ta gueule, parce que çà se voit comme le nez au milieu de la figure que t'es un amateur.

Pas grave, comme ils sont cool, ils t'expliquent les bases : harmoniser les champs qui servent de clé, garantir une clé unique (par exemple, mettre un code ISO-3166 pour les pays, tu vois ? ou des dates sur chaque ligne, pas juste au fichier...). Ou encore fournir un agrégat complet avec une URL fixe, et pas une ribambelle de fichiers, si tu veux qu'ils intègrent çà automatiquement à leurs calculs, parce que quand même ils en ont bien envie.

Entre autres bons principes que t'étais pas censé ignorer, sauf si t'es un guignol comme moi !

Alors si j'ai un seul message à faire passer, c'est vas-y, fonce. Tu fais de ton mieux, parce que l'enjeu maintenant c'est les data, elles décideront bientôt de tes droits, de ta santé, de tes finances, de ton sort en général, bref de ta vie. Ce sont elles derrière les algorithmes de l'IA et du big data et du décisionnel qui décide à notre place, elles qui en font la valeur et le sens, avant le code.

Il y a peu, la bataille pour la liberté, c'était l'open-source. Disons que s'il n'a pas gagné, c'est bien parti. Mais la lutte n'est pas terminée : abandonner les données au privé ou aux seuls spécialistes, c'est rendre à l'ennemi le terrain durement conquis.

Et c'est pas parce que t'es pas un statisticien que çà t'excuse : t'as un cerveau, bordel !


P.S. Ma première tentative d'open-data : mettre les données Covid19 de l'OMS sous un format exploitable (ce qu'ils auraient dû faire sans moi tout seuls comme des grands), ici : https://github.com/gibello/whocovid...

samedi, juin 6 2015

Et si on se débarrassait du travail, plutôt que du chômage ?

Vous êtes-vous déjà demandé combien de temps vous travaillez ?

En moyenne, un français qui bosse travaille moins de 1500 heures par an (OCDE : 1489 h en 2013). Soit 186 journées de 8h. Combien de temps dure une carrière "moyenne" ? Osons une approximation raisonnable : une durée légale de 42 ans, avec un taux de chômage de 10%, çà fait 38 ans.

38 ans x 186 jours, çà fait 7.000 jours travaillés par vie. Et une vie, c'est en moyenne 30.000 jours (82,1 ans d'espérance de vie).

On travaille donc 23% de notre temps. Moins d'un quart. Si on prend les chiffres autrement : on bosse 32,1 ans à temps plein (7.000 jours / 218 jours) sur 82,1 de vie, soit 50 ans sans travail.

Voilà : même si vous avez l'impression de travailler dur, le fait est que vous n'en fichez pas lourd.

Peut-on se débarrasser du reste ? Actuellement, il y a deux tendances de fond :

- L'automatisation (le numérique, l'internet des choses, les robots, etc...). Si vous êtes péagier, caissier, employé de banque, ouvrier, agent de voyages, journaliste..., vous avez déjà du souci à vous faire. Et même si vous êtes chauffeur routier ou taxi, votre véhicule sera un jour automatique. Et ne vous croyez pas à l'abri si vous êtes avocat ou médecin : un pourcentage certain de vos tâches est à la portée d'un algorithme. Bref, les capitalistes produisent du chômage.

- L'économie du partage : quand je m'héberge avec AirBnB ou Couchsurfing, des chaînes d'hôtel font faillite. Quand je covoiture, ce sont les taxis, les compagnies de train, les constructeurs automobiles, et les usines ferment en cascade (sous-traitants, etc...). Quand j'échange des biens d'occasion sur LeBonCoin, la production de biens neufs baisse. Quand je consomme local, je m'attaque au transport et stockage de fret. Bref, l'économie du partage fabrique des chômeurs aussi sûrement que les capitalistes.

Evidemment, çà ne fera pas disparaître la totalité du travail restant. Mais un bon tiers, çà doit être jouable (et certainement plus si on essaie de faire disparaître les jobs inutiles... plutôt que d'en créer à la pelle pour résorber le chômage !)

Prenons un tiers : il nous resterait 20 ans temps plein à bosser par vie, ou 15% de notre temps de vie (en jours). Ca commence à être pas mal.

Et on est payé comment, me direz-vous ? Eh bien, en décorrélant les revenus de l'emploi. Au lieu de payer les gens en contrepartie de travail, on les paie tout court. (Si çà vous semble débile, rappelez-vous que vous ne fichez rien 50 ans de votre vie : dit autrement, pendant 50 ans, vous êtes donc payé à ne rien foutre !)
A noter qu'il serait possible d'instaurer un service civique pour se partager certains tâches nécessaires, çà n'empêche pas !

Les pistes de financement ont depuis longtemps été explorées par les tenants du revenu d'existence (ou ceux du salaire à vie), et sont généralement regroupées en 3 catégories :
- Le transfert (actuellement, en France, on dépense 650 milliards en prestations sociales - inclus la sécu, la retraite, les allocations familiales, le chômage, etc..., soit presque 10.000 EUR par an et par habitant de 0 à 100 ans !)
- La redistribution (qui n'est pas simplement "prendre aux riches pour donner aux pauvres", mais plutôt remettre à plat la fiscalité en vue de financer une société différente).
- La création monétaire (qui pourrait être partagée entre les citoyens plutôt que distribuée de manière discrétionnaire, au moins en partie).

Le tout en n'oubliant pas que le PIB continue historiquement d'augmenter, à mesure que l'on travaille moins (regardez l'évolution du PIB et celle du temps de travail sur un siècle... sans commentaire !).

Bref, depuis la révolution industrielle, c'est travailler moins pour gagner plus. Et il n'y a pas de raison que çà s'arrête : il serait donc grand temps que nos politiques réfléchissent au partage du temps, lequel induirait nécessairement celui des richesses...

lundi, janvier 19 2015

Bal tragique à Charlie : 17 morts

Vous espérez peut-être, sous ce titre, une analyse de plus de récents événements tragiques, digne comme il se doit du Café du Commerce (comme la plupart de celles parues dans les divers média, blogs, tweets, etc... ces derniers jours) ?

Que nenni. Je vais plutôt vous la faire façon interro écrite, genre concours d'entrée à l'Ecole de la Magistrature (option Liberté d'expression). Quoique je doute qu'une telle épreuve existe, mais je m'en tape.

Voici donc un sujet sur lequel plancher...

Dans un tweet enflammé s'inscrivant dans le débat qui suit l'attaque terroriste de Charlie, un internaute poste ceci :

"Qu'un sang impur abreuve nos sillons".

A) Cet internaute est musulman : peut-il être poursuivi pour apologie du terrorisme ? pour incitation à la haine raciale ?

B) Cet internaute est juif : peut-il être poursuivi pour antisémitisme ?

C) Cet internaute est français : peut-il être poursuivi pour outrage à l'hymne national ?

D) L'internaute est poursuivi, et l'avocat de la défense le présente comme "un patriote ayant simplement cité un vers de la Marseillaise". Quel(s) argument(s) lui opposeriez-vous si vous représentiez le Parquet ?

E) Pensez-vous que les limites légales à la liberté d'expression doivent s'appliquer de la même manière à tous, ou la justice doit-elle les interpréter en fonction de l'appartenance ethnique, religieuse ou politique du sujet, de sa catégorie sociale, de son niveau d'éducation ?

F) La justice doit-elle moduler sa réponse en fonction de l'actualité récente, ou au contraire faire preuve de stabilité dans le temps ?

Et voilà... Je vous souhaite bonne chance. Et surtout, de vous poser plein de question sur l'opportunité (et la vanité...) de poser des limites légales à la liberté d'expression ! Quant à l'esprit ou la lettre de notre Hymne National, ce n'est guère lui faire outrage que de les questionner... Et je n'épiloguerai pas sur la contradiction criante entre nos lois liberticides et notre discours bien-pensant en faveur d'une illusoire "liberté d'expression" : d'autres l'ont déjà fait, certains avec talent !

vendredi, septembre 14 2012

Les forçats de l'inutile

Il y a 3 jours, une news sidérante a traversé la sphère économique : le nouvel iPhone 5 pourrait contribuer "à un demi point de croissance trimestrielle aux US" (sic).

Et pas plus tard qu'hier, nous apprenions que la moitié des médicaments vendus en France ne servent à rien (d'après un ouvrage très documenté signé par d'éminents professeurs de médecine, qui ne font que dire tout haut ce qu'on savait déjà, mais avec compétence).

Et donc, aurais-je abusé desdits médicaments, ce qui m'aurait conduit à marier dans un même billet la carpe et le lapin ? Que nenni.

Car il y a un lien : un smartphone, çà ne sert à rien non plus, du moins n'est-ce guère plus utile que les spécialités pharmaceutiques ici incriminées... lesquelles contribuent également à la glorieuse croissance et au saint Emploi.

Autrement dit, nous avons un léger problème de modèle économique : que l'on s'arrête un instant de consommer abondamment des trucs inutiles, et on sera tous au chômage (ou presque). Qu'un allumé décrète seulement le "mois de l'utile", où les consommateurs évalueraient l'utilité réelle de tout achat envisagé avant de passer à l'acte, et on y laisserait déjà un point de croissance, pour peu que le mouvement soit suivi !

Au passage, le salaire médian dans notre belle France ne permettant de s'offrir ni le téléphone ni les médicaments cités plus haut, c'est un mix de crédit (qui endette les particuliers) et de subventions (qui endettent l'Etat) qui rend la chose possible, du moins pour la masse des acheteurs qui fait la rentabilité du modèle.

On fabrique donc de la monnaie inutile pour acheter des choses qui ne servent à rien. Dont acte.
Et pourquoi, d'ailleurs, ne fabrique-t-on pas assez de monnaie pour consommer tranquille ? Eh bien, c'est simple : si vous n'aviez pas le couteau sous la gorge à la fin du mois, l'idée pourrait vous prendre de contester, voire même d'économiser au lieu d'acheter (alors que là, le moindre liard qu'on vous lâche est aussitôt consommé, et vous devenez au passage locataire de votre banque). Ca serait dommage, convenons-en, de mettre un si beau système en péril juste pour vous éviter quelques angoisses.

Ceci dit, loin de moi l'idée qu'on touche à quoi que ce soit : on se tient tellement tous par la barbichette que j'espère ardemment que vous n'avez rien compris à ce que je viens de raconter (des fois que vous en tireriez des conclusions fâcheuses, genre "tiens, c'est vrai, je pourrais consommer moins" ! Je tiens à mon job, moi !!)

D'ailleurs, en bon citoyen, je m'en vais solliciter un crédit conso pour m'acheter un iPhone 5 : si j'ai du mal à rembourser, pas grave, on me prescrira un antidépresseur !

P.S. Je ne suis pas un rabat-joie qui nie la notion de plaisir : offrez-vous ce qui vous plaît vraiment, quand bien même çà ne servirait vraiment à rien (mais ne me dites pas que ce qui vous plaît, c'est le prochain smartphone ou le dernier écran plat : çà vous plaît comme à tout le monde, parce qu'on vous l'a enfoncé dans le crâne, nom de D... !)

jeudi, mars 8 2012

La bourse est un casino... si on ne triche pas !

Les économistes aiment bien l'information "pure et parfaite" et les agents "raisonnables" : dans un monde économique parfait, chacun recueille au même instant l'ensemble des informations pertinentes, et prend une décision adéquate (ou du moins raisonnable et proportionnée).

Appliquons ce modèle à la bourse :

Dans un tel monde, toute information concernant un titre serait immédiatement répercutée sur son cours à juste proportion : si elle justifiait que ce cours augmente d'1 EUR, la courbe formerait une sorte d'escalier vertical de hauteur 1.

Avant que l'information ne soit disponible, la décision d'acheter ou vendre l'action ne serait motivée par rien (en tout cas, pas par l'anticipation de cette information, que rien ne permettrait d'imaginer : à défaut, cette anticipation serait elle-même une information, et serait déjà dans les cours).

Ensuite, cette information n'aurait plus d'impact sur le cours, qui aurait déjà évolué pour l'intégrer.

Quant à l'instant exact où l'information tombe... il est peu ou prou d'épaisseur nulle !

Autrement dit, la bourse dans un monde d'agents raisonnables parfaitement informés s'apparente à un jeu de casino dans le noir : un agent qui joue au hasard y a les même chances que n'importe quel autre (si on joue avant l'information, c'est de la chance; et si on joue après, c'est trop tard !)

Il n'est donc économiquement raisonnable d'agir en bourse que dans un monde où l'information est "asymétrique" (différente selon les acteurs, et retardée pour certains) : le cas le plus favorable étant celui où l'on peut tricher (par exemple, en exploitant une information de première main avant qu'elle ne soit publiée - le "délit d'initié", ou en publiant soi-même des informations - réelles ou fantaisistes - dont on a déjà anticipé les effets sur le cours).

Evidemment, il existe quelques "martingales" n'allant pas jusqu'à la tricherie; quelques exemples :

- Il est possible de jouer sur la "diversité des points de vue", largement alimentée par l'inexpérience de nombreux boursicoteurs (voire l'incompétence de certains professionnels), et la lenteur des canaux d'information classiques (malheur à vous si vous suivez le fil de presse : ce qu'on peut y lire est déjà dans les cours depuis un moment).

- On peut aussi jouer contre les autres, en spéculant sur leurs réactions plutôt que sur le titre lui-même : cette méthode est au coeur de nombreuses approches statistiques, prenant pour base la forme de la courbe, les volumes, les franchissements de moyennes mobiles, de supports et de résistances, etc... (regarder la courbe et son comportement nominal pour interpoler son évolution n'est rien d'autre que prédire la réaction moyenne des "autres").

Mais ces méthodes se heurtent de plus en plus à la pluralité des acteurs et à l'accroissement de la concurrence : plus vos concurrents sont nombreux, plus il est probable que certains prennent la bonne décision tout de suite (même par hasard !). Donc, soit vous décidez encore plus vite... soit vous avez perdu. Et comme le temps pour décider est court, vous vous trompez ! Autrement dit, ce qui est vrai au niveau des grands nombres (la bonne décision est prise immédiatement) s'inverse au niveau individuel (vous avez toutes les chances de vous planter).

A ce jeu, seuls les ordinateurs peuvent encore décider assez vite, à condition de disposer d'algorithmes adéquats. Et ces algorithmes sont élaborés partout par les mêmes ingénieurs, formés aux mêmes méthodes statistiques !

Autrement dit, plus les ordinateurs prennent la main (comme dans le "trading à haute fréquence"), plus la diversité des points de vue diminue : on se retrouve avec des agents raisonnables (les ordinateurs) disposant d'informations pures et parfaites (les cours, volumes, historiques, etc...) pour décider en fonction d'une logique similaire.

Autrement dit, on en revient au jeu de casino dans le noir : jouer au hasard vaut n'importe quelle autre méthode.

Sauf si on triche : dans un monde où le trading automatisé domine, délit d'initié et diffusion de rumeurs pourraient bien s'avérer les seuls moyens fiables de gagner en bourse...

mercredi, septembre 14 2011

L'euro n'existe pas : il n'y a rien de nouveau sous le soleil !

Il fut un temps où chaque pays, dans une joyeuse cacophonie, opérait sa propre création monétaire : le temps du franc, de la peseta, du drachme ou du deutsche mark.

En ces temps préhistoriques, les banques centrales dépendaient largement du politique : que les électeurs soient mécontents, et on laissait opportunément filer la monnaie, en faisant tourner la planche à billets jusqu'à plus soif (tout en criant au loup à chaque poussée d'inflation). Et de vils spéculateurs faisaient régulièrement trembler la monnaie nationale...

Ah, les raids de Soros contre le franc, la dévaluation de l'après 1981, ou celle qui suivit mai-68 !

Puis vint l'Europe : BCE indépendante et garante de la "stabilité des prix", traités encadrant les déficits budgétaires, et j'en passe... Bref, fin de non -recevoir pour les Soros et leurs émules : le message est clair, il y a l'euro, notre dollar à nous, et vous ne faites pas le poids face à notre unité regroupée sous la bannière de notre Banque Centrale. Passez votre chemin, messires.

A un détail près : la création monétaire est avant tout question de dette. Et en termes de dette, chaque état assume seul ses choix, et ses engagements.

Les créanciers appliquent donc des taux différenciés à chaque état européen, selon leur évaluation du risque encouru (réel ou supposé). Et les spéculateurs disposent de maints instruments pour influer sur les taux et la création de monnaie des uns ou des autres : notamment, l'influence des rumeurs (la presse, les agences de notation, le lobbying politique...), mais aussi d'intéressants instruments dérivés, comme les CDS ("credit default swap"), titres cotés permettant de s'assurer contre un défaut de paiement, et sur lesquels la spéculation fait rage au point d'en arriver à un intéressant retournement de situation : le marché des CDS influe sur celui des taux, et non l'inverse !

Bref, vous aurez saisi le fond du sujet : tout se passe comme si chaque état disposait d'une monnaie différente, dont il peut émettre des quantités diverses au gré de sa politique, du crédit qu'on lui accorde, et des hasards de la fortune.
Evidemment, les marchés spéculent allègrement sur cette diversité : le trading sur les monnaies nationales a été remplacé par... du trading sur l'émission de monnaie nationale ! Où l'on prend les mêmes...

En d'autres termes, et grosso modo : la France émet des euros français, l'Espagne des euros espagnols, la Grèce des euros grecs, l'Allemagne des euros allemands... Assertion certes approximative, mais perspective éclairante.

Par convention, appelons çà des francs, des pesetas, des drachmes et des deutsche mark : çà sera plus clair, et çà permettra de rétorquer à ceux qui souhaiteraient "sortir de l'euro" (sic)... que l'euro n'a jamais existé que dans leur imagination !

P.S. Certains parlent d' "eurobonds". Auraient-il compris ? (et, si c'est de longue date... de qui se moque-t-on ?)

vendredi, novembre 12 2010

Petite leçon de Kapitalisme pour les nuls (comme moi)

Aujourd'hui, petit cours d'économie niveau CM1...

Pour simplifier les calculs, je vais faire quelques hypothèses qui feraient plaisir au MEDEF, à savoir : abolition des charges sociales et autres taxes, et population de consommateurs béatement crétins qui dépensent immédiatement tout ce qu'ils gagnent. Un rêve ultralibéral, n'est-ce-pas, dont certains semblent persuadés que l'avènement résoudrait tous les problèmes. CQFD...

L'économie sera supposée constituée de producteurs et de consommateurs : les producteurs vendent ce qu'ils produisent aux consommateurs, et les consommateurs gagnent de l'argent parce qu'ils travaillent pour les producteurs.

Appelons R le revenu des producteurs, et S ce qu'ils versent aux consommateurs en échange de leur travail (les salaires, par exemple).

A première vue, R = S (du moins, à en croire les hypothèses ci-dessus).

Il est impossible que R soit supérieur à S, puisque les consommateurs n'ont rien de plus : une fois qu'ils ont dépensé S, ils sont complètement rincés...

Autrement dit : même si les coûts de production sont exclusivement salariaux, qu'il n'y a aucune charge ni taxe, et que ces abrutis de consommateurs sont des paniers percés, notre producteur ne gagne RIEN : il verse S, et il gagne R, lequel est dans le meilleur des cas égal à S (et, selon toute vraisemblance, inférieur...)

Ne noyons pas le poisson (façon Keynes) en posant que le revenu est égal à la consommation plus l'investissement (soit R = S + I , I étant l'investissement). Car il faut bien, n'est-ce-pas, que l'argent qui constitue cet "investissement" vienne de quelque part, et on ne voit pas bien d'où, si ce n'est de revenus provenant de la vente d'une production (ce qui nous ramène au problème précédent).

Alors, comment se fait-il que çà marche ? Eh bien, pour de multiples raisons, dont voici quelques unes (qui se cotoient toutes, dans le monde actuel, à divers degrés) :

- Le crédit. Il suffit qu'on fabrique à tire-larigot la monnaie qui manque, et qu'on la prête un peu à tout le monde, en se disant qu'on se remboursera sur les profits de demain (voire aux calendes grecques, comme leur nom le suggère, les Grecs s'étant récemment faits champions de la spécialité).
Très efficace, aussi longtemps que tout le monde croit au système comme la chrétienté au petit Jésus. Il est évident que la masse des dettes est alors supérieure à la totalité de la masse monétaire, ce qui équivaut à dire que le patrimoine net de l'humanité est négatif : pas très grave, celui de mon voisin de palier, fier propriétaire de son appartement (et conséquemment locataire de sa banque), est lui aussi négatif (surtout depuis que l'immobilier baisse), et l'homme se porte bien.

- L'inégalité. Par exemple, si la balance commerciale est positive (le pays exporte plus qu'il n'importe), on exporte aussi nos problèmes : comme le fric rentre chez nous, c'est les autres qui ont un problème (puisque de chez eux, il sort), mais on s'en tape, c'est la croissance, youpi.

- La crise. Si je fais faillite, je ne rembourse pas mes dettes, et on remet quelques compteurs à zéro (si les grecs font défaut, "la Grèce ne coulera pas tout de suite au fond de la mer Egée", dit-on : cf. l'emprunt Russe, pour ceux qui douteraient). Donc, des successions de créations et de destructions monétaires, lesquelles créent les disparités nécessaires à des écoulements d'argent d'un lieu vers un autre, et réciproquement...

- L'échange hors économie du profit : comme, par exemple, le troc, entre autres systèmes mutualistes. Là, je récupère l'équivalent de ce que je donne, et on se débrouille à ce que tout le monde soit globalement nourri, logé, etc... Dans ce cas, en gros, R=S et il n'y a pas de bug. Ce bon vieux trux a bien dû fonctionner 20.000 ans, soit un peu plus longtemps que le Nasdaq...

Il convient aussi de ne pas oublier ce qui est la condition première de toute "création de richesse", comme disent les winners façon 80's : la disponibilité de ressources, énergie, etc..., renouvelables ou pas, dans lesquelles on peut puiser joyeusement. Je ne m'étendrai pas là-dessus : c'est de toutes manières la condition d'existence de tout système organisé, capitaliste ou pas, et je suggère à ceux qui en douteraient de se renseigner sur le 2ème principe de la thermodynamique (lequel pose, d'ailleurs, que de ressources renouvelables il n'est point).
On ne peut donc pas faire autrement que pomper dans le réservoir (se modérer, si, mais çà s'arrête là), sauf à considérer le suicide collectif comme un mode de gouvernance, et ce n'en déplaise aux tenants de l'écologie radicale !

Quand je vous disais que le capitalisme c'était pas compliqué : vous voyez bien...
En attendant, n'oubliez pas de rembourser votre prochaine échéance de prêt !

mercredi, août 11 2010

Le pétrole c'est bien drôle, mais le hic, c'est le pic.

Vu ce 11 Août 2010 dans les inénarrables news de boursorama :
"l'AIE estime que la demande mondiale de pétrole devrait augmenter cette année de 1,8 millions de barils par jour (bpj) pour atteindre 86,6 millions de bpj,"
Et encore, dans une autre news, le même jour :
"Total : lancement du développement du projet CLOV en Angola { ... } dans l'offshore profond de l'Angola, visant à mettre en production quatre champs { ... } dont les réserves sont estimées à environ 500 millions de barils d'huile."

Autrement dit, on va creuser des puits douteux au fin fond de l'Atlantique, tout çà pour couvrir au mieux une petite semaine de consommation mondiale. C'est vrai que la perspective de rouler avec ma bagnole une semaine de plus, çà mérite bien d'engluer quelques Angolais dans le mazout, z'avaient qu'à pas habiter à côté de chez Total. Et puis, la perspective d'épuiser 4 plateformes offshore par semaine, çà me donne tout de suite l'impression qu'on est des types importants...

Mais il y a plus drôle, dans le pétrole : par exemple, les "réserves prouvées" (= celles qui ont 90% de chances, à la fois, d'exister et d'être exploitables au coût actuel avec la technologie dont on dispose déjà - c'est la définition officielle).

Ci-dessous, la courbe des "réserves prouvées" de l'OPEP (source : Wikipedia).
Réserves de l'OPEP

On y voit d'abord une espèce de marche d'escalier... apparue le jour où l'OPEP a indexé les quotas de productions de ses membres sur leurs réserves.
"A partir de maintenant, plus tu as de réserves, plus tu peux produire" : du coup, tu refais tes comptes, et tu t'aperçois que tu avais oublié la moitié de ton pétrole. Miracle de la comptabilité au pays du mirage et du tapis volant...
Mention spéciale pour la courbe (ou devrais-je dire la droite ?) de l'Arabie Saoudite : là-bas, ils ont beau pomper, les réserves ne changent pas depuis 20 ans (et ce quand bien même ils n'ont découvert, depuis, aucun gisement majeur).

Toute cette brave rigolade devrait tout de même bientôt prendre fin : en raison d'un certain "pic du pétrole" ("oil peak"), scruté de près par nombre de décideurs industriels et financiers (et que les politiques font largement semblant de ne pas voir venir, ce qui prouve qu'ils en tiennent compte).

Le pic, c'est quoi ?

Tout simplement, on s'est aperçu statistiquement que, lorsqu'on a pompé la moitié de son pétrole, le débit de pompage diminue inexorablement. Le pic, c'est donc l'instant où on aura pompé la moitié du pétrole disponible dans le monde : après, le robinet coulera de moins en moins fort.

Eh oui, camarade : il restera encore autant de pétrole que tout ce qu'on a déjà pompé depuis l'antiquité, sauf qu'il faudra être très patient pour en avoir une goutte (ou alors la payer plus cher que le voisin, ou alors se l'approprier sans lui demander son avis, au voisin, ce qui est prometteur pour la paix mondiale).

Les spécialistes (au rang desquelles la très militante ASPO - Association for Study of Peak Oil and Gas) placent le pic entre 2005 et 2020, sachant qu'il faudra environ 5 ans pour s'apercevoir qu'il est derrière nous (donc, c'est peut-être déjà le cas ?)... et environ 20 ans pour s'adapter quand on décidera que c'est l'heure de se bouger les fesses (donc, on a, au mieux, 10 ans de retard). Voir ci-dessous (source ASPO) :

Le pic, selon l'ASPO

Moralité, cher lecteur : achète donc un gros 4x4, et profites-en pour cramer le maximum de pétrole pendant que tu peux encore t'en payer. Au passage, tu accélèreras la venue du pic, et ce sera bon pour la planète, donc çà fera de toi un précurseur de l'écologie militante... au risque, il est vrai, d'être quelque peu incompris en ces temps de frilosité de la pensée.

dimanche, mai 30 2010

Le mythe du financement des retraites et de l'allongement de la vie...

Ces derniers temps, on nous présente le fait suivant comme évident : nous devrions travailler plus longtemps, parce que l'espérance de vie augmente.

Examinons les chiffres : entre 1985 et 2008, la productivité horaire a augmenté de 50,75%, tous secteurs confondus. Sur la même période, l'espérance de vie a augmenté de 8,83% chez les hommes, et 6,29% chez les femmes (passant, respectivement, de 71,3 à 77,6 ans, et de 79,4 à 84,4 ans). (*)

Or, en 1985, le travail suffisait déjà amplement à satisfaire les besoins de la plupart des gens. Avec l'augmentation de la productivité (+50%), on pourrait donc pourvoir à un niveau de vie équivalent, à travail constant, pendant une durée 50% plus longue.

Soit, pour un homme, 107 ans, et pour une femme, 119 ans.

Les chiffres indiquent donc que la retraite à 60 ans, telle que pratiquée en 1985, permettrait de préserver le niveau de vie de 1985 jusqu'à ce que l'espérance de vie moyenne dépasse 110 ans... et ce à productivité constante (niveau de 2008).

On pourrait objecter que ce sont là des moyennes, ou encore qu'une espérance de vie plus longue implique des coûts exponentiels (dûs à une plus longue durée de dépendance).

Tout ceci, non seulement reste à prouver, mais bute également sur une évidence : la marge dont on dispose (110 ans... alors que l'espérance de vie actuelle est plutôt de l'ordre de 80) gomme largement cet éventuel surcoût, et ce sans préjuger d'une éventuelle augmentation future de la productivité !

Autrement dit, ce n'est probablement pas même à travail constant que l'on pourrait conserver indéfiniment le niveau de vie de 1985 : il est presque certain que l'on pourrait travailler moins...

Comme quoi les évidences sont parfois trompeuses : si nous avons un problème, il concerne davantage la redistribution des richesses et l'organisation sociale que l'allongement de l'espérance de vie... et même une analyse très rapide permet d'établir que nous sommes largement assez riches pour financer nos retraites !

(*) Source : INSEE, Comptes nationaux / finances publiques (http://www.insee.fr/fr/themes/comptes-nationaux/tableau.asp?id=2.211) et Population (http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF02221) - calculs basés sur les séries longues, téléchargeables sur le site de l'INSEE.

mercredi, mars 31 2010

Le triangle de Sierpinski, comme métaphore de la révolution

Le triangle de quoi ?

Le "triangle de Sierpinski" est une figure fractale bien connue, composée de triangles inclus à l'infini dans d'autres triangles, comme des poupées russes. Il ressemble à ceci (j'ai piqué l'image à un certain Jake Wildstrom, qui je l'espère ne m'en voudra pas) :
Triangle de Sierpinski

A priori, la figure n'a rien de très original. Si ce n'est qu'on peut l'engendrer à partir de l'algorithme suivant :

  • Tracer un triangle (3 sommets : A, B et C)
  • Choisir au hasard un point du plan (même pas forcément dans le triangle) : appelons-le P
  • Ensuite, par itérations successives :
    • Choisir au hasard l'un des 3 sommets (A, B ou C)
    • Tracer un nouveau point à mi-distance de P et du sommet choisi. Ce point sera le nouveau point P de départ, pour l'itération suivante...

Au bout de quelques milliers d'itérations, vous verrez apparaître un beau triangle de Sierpinski ! Ce processus est fort bien illustré par une applet java que l'on peut trouver ici : essayez-là, c'est édifiant (cliquez sur "Go", sélectionnez un point à l'intérieur du triangle, et c'est parti !)
Le plus surprenant, c'est que la figure qui apparaît ressemble à un triangle de Sierpinski... mais n'en est pas un : les points sont tous infiniment proches du triangle, mais ne sont jamais dessus.
En fait, ils "gravitent" autour du triangle : ils dessinent ce qu'on appelle une orbite autour d'un "attracteur" (le triangle de Sierpinski).

Cette notion d'attracteur est essentielle, car elle a une portée générale : avec une formule très simple (l'algorithme cité plus haut, énonçable en quelques lignes), on arrive à engendrer avec l'aide du hasard une infinité de figures différentes, qui ont toutes la même structure ou forme (selon le point de départ et les choix aléatoires des sommets, chaque triangle engendré ne sera identique à aucun autre - pourtant, tous seront semblables).
Si çà ne vous rappelle rien, je vais prendre un autre exemple : l'ADN. Quelques milliers de gènes permettent d'engendrer un animal complexe : vous, qui ressemblez à votre voisin, sans jamais être identique.
Il se pourrait bien que vous et moi soyons deux orbites différentes, engendrées par un même attracteur : les règles codées par l'ADN avec une pincée de hasard, pour simplifier... un peu comme pour le triangle de Sierpinski !

Et la révolution là dedans ?

J'y viens... avec, vous commencez à vous en douter, l'idée suivante : ce qui est sous-jacent à l'ordre social est une forme d'attracteur. L'ordre social est une orbite autour d'un "attracteur social".

L'ordre social s'engendrerait lui-même, selon un processus certes plus complexe, mais analogue à celui détaillé plus haut pour le triangle de Sierpinski.
On retrouve, décrit de manière plus informelle, ce genre d'intuition dans un billet récent de la blogueuse Agnès Maillard (qui tient un fameux blog politique à la limite du révolutionnaire); je cite :

"En gros, ce qui motive les gens à s'arrêter au feu rouge, c'est leur adhésion intime au principe qu'il est mieux pour leur gueule de se conformer aux règles et aux usages communs que de chercher la merde en faisant n'importe quoi. Ce n'est donc pas la peur du gendarme ou de la sanction qui garantit le mieux la paix civile, c'est l'intime conviction qu'il est plus profitable de traverser dans les clous que de jouer les aventuriers. Une société fonctionne surtout selon un principe de libre adhésion et de quelque chose qui est de l'ordre de la foi."

Constat quelque peu imprécis, mais qui dénote l'intuition d'un mystérieux mécanisme sous-jacent à l'ordre des choses... Ensuite notre blogueuse termine sur une note plus insurrectionnelle (et plus convenue) : pour résumer, à force d'exploiter les gens, on atteindrait un seuil au-delà duquel l'ordre social ne serait plus tolérable; je cite encore :

"De plus en plus de gens ont du mal à satisfaire leurs besoins élémentaires pendant qu'une poignée d'autres affiche un luxe outrancier. Le contrat social a été piétiné de manière unilatérale et il convient d'agiter un gourdin de plus en plus gros pour maintenir les gueux à leur place, pour les forcer à respecter des règles qui, manifestement, n'ont plus pour objectif que de protéger ceux qui profitent du système ( ... ) C'est un assez mauvais calcul à moyen terme. Parce que les tensions créées par les déséquilibres grandissants et cumulés finissent toujours par exploser, violemment, sans que jamais il ne soit possible de prévoir où, quand, comment et pourquoi."

Cette analyse est plus discutable, car souvent démentie par les faits : il existe nombre d'endroits dans le monde où la liberté est bafouée, où les gens meurent de faim ou sont réduits à l'esclavage, sans que la moindre révolution (ni révolte d'ampleur) n'éclate.

Revenons alors à notre triangle de Sierpinski, vu comme métaphore de l'"attracteur social" : se révolter, c'est en quelque sorte décaler le point courant, momentanément, à l'écart de l'orbite. Mais la poursuite des itérations fera revenir les points suivants vers le triangle, et l'orbite ne sera, au mieux, que très légèrement déformée.

Tant que l'attracteur persiste, rien ne change dans l'ordre des choses. Ce qui revient à donner de la révolution la définition suivante : "la révolution est un changement d'attracteur".

Comment change-t-on d'attracteur ?


En fait, le plus important est de comprendre que le changement d' "attracteur" ne provient ni de l'ampleur de l'oppression (engendrée par l'attracteur lui-même), ni de la force des idées.



La Révolution Française est perçue par certains historiens comme mue par la montée de l'industrie, portée par une certaine bourgeoisie d'affaires : l'avènement d'une industrie moderne étant incompatible avec les règles de l'ancien régime, ces règles ont inexorablement été balayées, le sens de l'histoire étant alors sous-tendu par une mutation d'ordre économique.

A un degré moindre, l'avènement des techniques de l'assurance, ensuite transférées dans la sphère publique, a donné corps à ce qui fut appelé l' "Etat providence", lequel a retiré à la religion son monopole...de la Providence, justement ! Le phénomène va amplifier la laïcisation des institutions, produisant un profond changement social (phénomène très bien décrit par Pierre Rosanvallon dans son essai "La crise de l'Etat Providence").

Ces exemples illustrent à divers degrés quelque chose qui est de l'ordre du "changement d'attracteur", ce dernier prenant une forme nouvelle autour duquel se "cristallise" une nouvelle société. Autrement dit, la révolution résulterait d'une forme d'innovation de rupture, en donnant au terme "innovation" un sens élargi : de nouvelles techniques, idées, une nouvelle approche, des usages qui apparaissent, et finissent par atteindre un seuil critique à partir duquel tout bascule, parce que l'ordre existant devient un carcan démodé et sclérosant.

Phénomène, sans doute, impossible à produire de façon volontaire : on ne décrète pas la révolution. Quant à savoir si certains phénomènes récents, comme celui d'internet et de la société de l'information, sont de magnitude suffisante pour provoquer une révolution... Les historiens de demain pourront en débattre !

jeudi, octobre 29 2009

La métaphore de l'usine à gaz

Que votre métier consiste à concevoir, organiser, gérer, maintenir ou planifier, nul doute que vous aurez déjà constaté le fait suivant : les systèmes dont vous avez la charge, au fil du temps, deviennent de plus en plus inefficaces, plus compliqués, chaque modification provoque des effets de plus en plus imprévisibles, et toute tentative de simplification devient trop hasardeuse pour être envisageable...

Alors, augmentation naturelle de l'entropie ? Effet de bord de la complexité ? Ou simple incapacité de votre part à gérer et organiser correctement ?

De fait, les systèmes complexes ne sont pas statiques : ils échangent avec l'extérieur, qui évolue, et sont eux aussi contraints à évoluer, ou à disparaître.

Evoluer ne pouvant se faire que dans deux directions : croissance ou décroissance (devenir plus gros ou plus petit, plus véloce ou plus lent, plus riche ou plus pauvre, plus technicien ou plus traditionnel, ou ce qu'il vous plaira, c'est analogue...)

Et encore, dans des limites relativement étroites : une ville, une entreprise, un programme, une économie ou un animal ne peuvent faire croître ni décroître à l'infini leurs principaux caractères (pourquoi, me direz-vous ? les raisons sont diverses, mais connexes. Prenons un exemple avec l'animal : si sa taille change, son volume évolue plus vite que sa surface, ce qui pose rapidement des problèmes de régulation thermique - trop petit, il offre trop de surface par rapport au volume nécessaire à produire de la chaleur... et trop gros, il n'offre pas assez de surface pour évacuer ses calories : les souris ont froid, les éléphants ont chaud !)

Or, chaque évolution (croissance ou décroissance) comporte une part d'irréversible : d'abord parce qu'il n'est pas question de revenir à l'état initial (le monde extérieur ayant depuis évolué), ensuite parce que c'est impossible.

Prenons l'exemple d'une usine (à gaz ? nom générique que l'on prête à toute la galaxie des systèmes complexes, comme par hasard), dont on voudrait moderniser le fonctionnement : d'anciens sous-systèmes vont rester actifs, d'autres seront ajoutés, d'autres remplacés ou rénovés, etc...

Dans ce cadre, la redondance est préférable à la perte d'une fonction : on évite de trop modifier ce que l'on comprend mal, ou ce qui semble remplir sa fonction honnêtement - on se contente de le répliquer ou de l'améliorer.
De plus, sur un système qu'il est souvent impossible d'arrêter, l'arrêt même temporaire d'un sous-système vital (par exemple, dans le but de le remplacer) pourrait avoir des conséquences funestes...

Chaque évolution va alors s'ajouter à un existant sans réellement le remplacer, provoquant une forme de stratification qui réduira l'efficacité du système, y provoquant des redondances, parfois des incohérences. Les erreurs, inhérentes à toute manipulation, vont également s'y accumuler au fil du temps.

Le système finira par être trop inefficace pour remplir sa fonction, même dans un mode dégradé : notre usine, par exemple, devra être désaffectée, démolie et remplacée.

Rien que de très normal, donc : vous voilà donc rassuré, puisque votre compétence n'est pas en cause ?
Ne vous réjouissez pas trop vite : étant vous-même un système complexe, l'adhésion au raisonnement ci-dessus vous condamne à mourir avec lucidité...

mardi, mai 19 2009

Crise immobilière : on prend les mêmes, et on recommence !

Flash-back sur la crise des années 90 : ou comment démentir la croyance selon laquelle "l'histoire ne repasse jamais les plats" (les citations sont tirées des archives du journal Le Monde).

Donc, au départ, tout va bien : Le prix moyen des logements neufs et anciens à Paris a été multiplié par trois en dix ans (15/2/89), ou encore Acheté par un promoteur 650 francs en 1985, le mètre carré de cette colline niçoise s'est vendu il y a quelques semaines 4 500 francs. Sept fois plus cher qu'il y a cinq ans. (16/5/90).

Le bon vieux mythe des Anglais bat déjà son plein : Les Britanniques débarquent en Bretagne. Quelques vieilles pierres dans un hameau perdu,la campagne à perte de vue : c'est le nouveau rêve de l'autre côté de la Manche (4/4/90).

Le 4 Avril 90, malgré quelques craintes émergentes, l'euphorie domine : Les professionnels attendaient une pause, ce fut l'apothéose. Les prix flambent.

Même les Espagnols jouent leur partition classique : " Buscar piso " ( " chercher un appartement ") : cette expression mille fois répétée est devenue, pour des milliers de jeunes couples madrilènes, le symbole d'un interminable cauchemar. L'extraordinaire boom immobilier qu'a connu durant ces dernières années la capitale espagnole l'a en effet rendue véritablement inaccessible pour nombre de ceux qui rêvent d'y bâtir un foyer. (27/10/90).

Parfois, tout de même, un éclair de lucidité : Les ventes ont baissé en 1990 et les professionnels s'inquiètent des perspectives pour 1991 . Une chute qui met en évidence la fragilité du secteur après les années d'euphorie. Après les années fastes, voici venu le temps de l'incertitude. (10/4/91).

Il faut dire qu'il s'en passe de belles, en 90 : on prend de plein fouet la faillite des "Saving and Loans" (c'est comme çà qu'on disait "subprime" dans la langue de 90), qui met en faillite nombre d'établissements financiers, d'abord américains (particulièrement les caisses d'épargne) : La faillite des " Saving and Loans " Les caisses d'épargne américaines pourraient être adossées à des banques (18/4/90).
Car çà va coûter cher : M. William Seidman, président de la Resolution Trust Corporation (RTC), organisme chargé de l'assainissement des caisses d'épargne américaines en difficulté, a estimé, lundi 30 juillet, que le sauvetage de ces institutions coûterait plus de 500 milliards de dollars. (1/8/90), ou encore, Le Congrès américain devrait se voir demander dans les prochains jours une rallonge de 80 milliards de dollars (...) aux 85 milliards déjà dépensés pour financer le plan de sauvetage des caisses d'épargne. (23/6/91).

Mais bon, on a un peu exagéré, en procédant à la "titrisation" de créances (çà ne vous dit rien, çà, la titrisation ?); dans les premiers rôles, l'inoxydable Bear Stearns (associé à l'époque au Crédit Lyonnais) : Le Crédit lyonnais et la banque américaine d'investissements et de placements Bear Stearns (...) ont signé un accord pour le développement du marché français de la titrisation des créances (24/6/91).
Tout le monde s'y met : La Compagnie Bancaire lance sa première opération de titrisation (7/6/90).
Il faut dire que c'est pratique; vous savez, le fameux "hors bilan" :
Le Crédit lyonnais lance sa deuxième opération de titrisation de crédits personnels. Celle-ci permet à l'établissement de sortir de son bilan 70 000 prêts accordés à ses clients et de les céder à un fonds commun de créances (10/4/91).

Donc, on se plante... au point d'atteindre une forme de "point Godwin", en allant jusquà comparer la situation au "Vietnam" : les caisses d'épargne américaines ont perdu plus de 40 milliards de dollars. Une catastrophe financière plus importante que celle des banques durant la grande crise, et qui coûtera au contribuable américain autant que la guerre du Vietnam. (14/7/92).

Qu'à celà ne tienne, on va moraliser le capitalisme financier : Alors que la situation des banques américaines ne cesse de se dégrader, l'administration Bush prépare une réforme en profondeur du cadre législatif qui a régi les métiers de la finance (...) depuis la grande crise de 1930. (12/12/90)
Ou encore, " Un système bancaire fondamentalement sain, ouvert à d'autres activités, à l'image de nos concurrents étrangers, et constituant un élément vital pour que s'ouvre à l'économie américaine une nouvelle ère de prospérité ", c'est ainsi que le président George Bush a défini (...) l'objectif des importantes mesures annoncées la veille par le Trésor pour accroître la compétitivité des banques américaines. (8/2/91)

Mais, las, dès le 11/9/91, on titre en France : Gonflement des stocks, allongement des délais de vente, baisse des prix La crise de l'immobilier parisien semble s'aggraver.
En Angleterre, c'est déjà pire : La crise du logement et la récession en Grande-Bretagne Le gouvernement de M. Major est confronté à l'explosion des saisies immobilières (26/12/91).

Il faut dire que la situation reste critique, et partout : en France, Des propositions aux pouvoirs publics Les banques souhaitent de l'aide pour faire face à la crise de l'immobilier (13/12/92). Au Canada, Le groupe Olympia & York, numéro un mondial de l'immobilier, a été placé sous la protection de la loi sur les faillites (16/5/92).
Aux US, on nous ressort la vieille antienne de la crise de 29 : Aux Etats-Unis, l'immobilier connaît sa plus grande crise depuis les années 30 (22/11/92), ou encore, La faillite en chaîne des caisses d'épargne (Savings and Loans) à la fin des années 80 est la catastrophe financière la plus importante que les Etats-Unis ont dû affronter depuis la grande crise de 1929. (10/11/92).

Le contribuable a beau écoper, la brèche semble impossible à colmater : Le sauvetage des caisses d'épargne aux Etats-Unis coûtera, en 1992, 50 à 75 milliards de dollars supplémentaires (...) aux contribuables américains. (13/6/91). Du coup, on nationalise joyeusement : La huitième plus importante caisse d'épargne américaine, la HomeFed Bank de San-Diego (Californie), a été placée sous contrôle fédéral (9/7/92).

Heureusement, en France, on invente des dispositifs fiscaux de relance (le "Scellier" de l'époque ?) : M. Louis Besson, ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer, a annoncé (...) deux mesures fiscales en faveur de la construction de logements locatifs privés. (16/3/91).
Evidemment, c'est un cautère sur une jambe de bois... et la descente se poursuit : La crise du marché immobilier francilien alimente la négociation entre acheteurs et vendeurs, qui baissent leurs prix de 15 % environ, selon la revue De particulier à particulier. (31/5/92).

Pourtant, un peu plus tard, quelques notes d'optimisme se font jour : Après les mesures de soutien prises au printemps par le gouvernement, les avis divergent sur la question de savoir si la reprise interviendra en 1994. (16/10/93).
Ou encore, Le prix du mètre carré dans les logements anciens parisiens a stoppé sa chute : au cours des trois premiers mois, il s'inscrit en hausse de 0,1 % (21/6/94).

Bon, maintenant, on sait ce qui s'est passé après 94. Tiens, justement, la FNAIM vient de nous annoncer un petit rebond printanier, relatif à avril dernier...
Citoyens, aux abris !

vendredi, mai 1 2009

Cochons de Mexicains...

Au printemps 1720, le Grand-Saint-Antoine, vaisseau revenant d'Orient, se verra refuser l'accès à la passe de Cagliari avec une violence inqualifiable : Saint Remys, vice-roi de Sardaigne, ayant vu, lors d'un rêve prémonitoire, la peste déferler sur son royaume. Contre toute attente, l'entrée du navire à Marseille marquera le début de la grande peste de 1720... (*)

Aujourd'hui, face à certain virus Mexicain, nos vice-rois modernes s'apprêtent à repousser avec la même virulence tout vaisseau aérien en provenance de ce pays maudit : toutefois, la comparaison s'arrête là. On connait la cause de leur rêve prémonitoire : ils ont allumé la télé.

Et qu'y voit-on ? D'abord, une population mexicaine entièrement masquée; si l'on connaît (depuis Zorro) la promptitude du Mexicain à se masquer, tout de même, qui aurait soupçonné tant d'efficacité ? A moins que l'épidémie n'y traîne déjà depuis des mois, dans l'indifférence générale par-delà le Rio Grande...
Thèse qu'accrédite d'ailleurs la qualification au niveau 5 de la pandémie par l'OMS : cette histoire de virus qui commence au niveau 5, c'est un peu comme une retransmission d'OM/PSG qui commencerait à 3-0, on aurait l'impression d'avoir manqué la première mi-temps...

Bien, donc, notre virus finit tranquillement sa saison au Mexique; c'est normal, l'hiver aussi est un peu fini : les Italiens de la Renaissance avaient nommé la grippe "influenza di freddo", et il ne fait plus vraiment freddo, là bas...
Mais il a atteint un intéressant seuil de virulence médiatique : tout ce monde masqué, les lieux publics fermés, voilà de quoi nous lancer une bonne panique aux conséquences sonnantes et trébuchantes (sauf pour l'Office du Tourisme local, qui ne semble pas faire partie du Consortium...).

Notre ami H1N1 est une bien petite bestiole pour relancer la croissance, mais après tout, au point où on en est, hein... Et puis, çà distraira les masses, dont le mois de Mai fait traditionnellement fleurir l'esprit contestataire.
Qui plus est, nos autorités sanitaires pourraient en sortir grandies : face à un virus en fin de course, elles ne devraient guère avoir de mal à remporter une victoire déjà quasiment acquise. Tout en testant en grandeur réelle leur dispositif...
Il est donc temps de faire entrer l'ennemi en Europe : par l'Espagne, celà va sans dire, toute bonne grippe se devant d'être espagnole (et puis, la bête maîtrise déjà la langue !). Et par la télé, moyen de contamination jugé peu dangereux; encore que : si on passe au niveau 6, je pense prendre des mesures drastiques en masquant mon téléviseur.

Aurait-on alors raison de courir à l'officine du coin réclamer sa dose de Tamiflu (r) ?

Que nenni, bonnes gens : en ce qui concerne les mesures de prévention, nos élites avisées les ont déjà anticipées. Il faut vider les lieux publics ? Dont acte : Lakshmi Mittal a déjà vidé les usines, et Benoit XVI les églises. Ce dernier devrait rapidement annoncer que le préservatif, jugé inefficace contre le sida, protège de la grippe du cochon : ce serait tout bénéfice, tant pour sa réputation que pour l'industrie du Latex.

Le seul à se trouver pris à contre-pied, c'est notre ami Sarkozy : lui qui vient d'interdire de manifester masqué, son inconséquence pourrait bien favoriser la diffusion du virus en ces temps de mobilisation sociale. Mais bon, l'homme a fait du contre-cycle une spécialité : quand on a déjà favorisé les heures supplémentaires alors que le travail se raréfiait, et mis en place un bouclier fiscal avant d'augmenter les impôts, on n'en est plus à une contradiction près.
A moins que les salariés terrorisés par la grippe ne décident finalement de rester cloîtrés : miracle de la croissance virale...

Mais bon, avant de clore ce billet, je tiens à vous faire part de mon intention de profiter outrageusement de cette pandémie : j'ai l'intention de concurrencer le Tamiflu (r) et le Relenza (r).
N'étant pas pharmacien, je ne sais encore rien de la formulation de ma future spécialité. Mais je lui ai déjà trouvé un nom, qui me semble approprié à l'enjeu : l'Influtox (r) ...


(*) L'anecdote fut, en particulier, rapportée par Antonin Artaud en préambule à son essai "Le théâtre et son double".

mercredi, mars 25 2009

Lettre aux Prudhommes pour défendre mon Parachute Doré

Décidément, l'injustice sociale se généralise, ces temps-ci. Aussi, si j'étais certain grand patron montré du doigt ces derniers jours, voici le genre de missive que je ne manquerais pas d'envoyer au Conseil des Prudhommes, afin de défendre ma cause (je laisse d'ailleurs ledit patron libre de réutiliser comme bon lui semble ce modeste billet : je ne lui demanderai pas d'honoraires, quand bien même il n'en changerait pas une virgule).


A : M. le Secrétaire Général du Conseil des Prudhommes

Monsieur,

Mon contrat de travail prévoit, en cas de rupture, une clause d'indemnisation, que de mauvaises langues ont à coeur d'affubler du sobriquet de "parachute doré".
Or, mon contrat se voyant rompu, je ne fais que demander l'exécution des clauses qu'il prévoit.

Mais là, surprise : m'en voudrait-on ? Comploterait-on contre moi ? L'actualité récente semble hélas en attester.

La présidente du Medef, avec des accents dignes d'Arlette Laguiller, me choisit comme bouc émissaire pour dénoncer ces patrons qui ne respectent ni leur entreprise, ni leur salariés.
Il est vrai qu'elle représente des employeurs parfois peu enclins au respect des contrats de travail : mais on franchit là les limites de la dignité.

Le Président de la République lui-même va jusqu'à prétendre que le versement de mes indemnités contractuelles serait "irresponsable" et "malhonnête" :
dans quelle République bananière vivons-nous, dont le Président juge malhonnête que les contrats soient respectés ?

Même la presse, cette infidèle qui me fut autrefois favorable, voudrait me clouer au pilori, et me pousser à restituer avec contrition des sommes qui me sont dues : avec quelle légitimité ? Je vous en laisse juge.

Monsieur le Secrétaire Général, je vous demande donc, au nom de la justice sociale, de m'apporter votre soutien, afin que mes indemnités contractuelles me soient versées, comme elles seront versées à mes anciens salariés licenciés (à noter que nul ne qualifie leurs indemnités de licenciement de "parachute doré" : l'outrance est à sens unique).

J'en suis comme vous persuadé : le contrat de travail est un pilier de notre société. Soyons ensemble l'emblême de sa respectabilité.

Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer (etc...)

mardi, février 3 2009

La Révolution, c'est à la banque, pas dans la rue !

On a vu récemment 1 million de personnes défiler dans la rue. Eh bien, imaginez le même million de personnes se rendant de concert au guichet de sa banque pour y retirer 1.000 EUR de liquide (quitte à les remettre en banque quelques jours plus tard - dès que leurs revendications auraient été entendues : au passage, çà ne coûterait que quelques jours d'intérêt, soit nettement moins qu'un jour de grève...)

Vous ne voyez pas le rapport avec l'action sociale ? Bon, alors réfléchissez un peu :

- Sur le plan médiatique, d'interminables files d'attentes revendicatives devant la moindre agence bancaire de quartier, çà a des chances de passer au 20h, surtout si la communication est bien orchestrée (et l'organisation qui parviendrait à enclencher un tel mouvement ferait pour le moins parler d'elle).

- Sur le plan logistique, les banques devraient s'avérer incapables de fournir en quelques heures 1 milliard d'EUR en billets : outre que réunir une telle somme en liquide n'est pas simple, l'acheminer en bout de réseau saturerait les moyens existants de transport de fonds (sans parler du problème de sécurité).

- Les conséquences psychologiques d'un tel acte seraient incommensurables (ou au moins imprévisibles - ce qui en matière économique est presque pire, car l'imprévisible n'est pas assurable) : on a déjà vu, dans certains pays, la panique déclenchée par le moindre soupçon d'incapacité d'une banque à rendre leur argent aux épargnants... Et si tout le monde, dans la foulée, se ruait au guichet, non plus pour des raisons politiques, mais par crainte de voir ses économies disparaître ? (de fait, les autorités seraient forcées de bloquer les retraits... ce qui ne ferait qu'amplifier la confusion).

Il y a aussi une raison économique fondamentale qui démultiplierait l'efficacité de la méthode : l'argent est créé par le crédit, fourni par les banques. Et les banques ne peuvent prêter à l'infini : elles ont obligation de fournir à la BCE des réserves obligatoires (pour simplifier, 2% de l'en-cours de crédit), et sont soumises à un ratio de solvabilité appelé "ratio Mc Donough" (pour simplifier, de l'ordre de 10% de l'en-cours de crédit) - en gros, une banque qui vous prête 1.000 EUR doit pouvoir justifier de 100 EUR, et déposer 20 EUR à la BCE.
Notre milliard d'EUR retiré aurait donc un impact de 10 à 50 milliards d'EUR sur la création monétaire, selon qu'on prend pour base le ratio Mc Donough ou les réserves obligatoires (les 50 milliards proviennent du fait que le milliard retiré ne pourrait plus être déposé à la BCE, ce qui empêche de fait la création de 50 milliards, en raison des 2% sus-mentionnés).
L'effet de levier, ce n'est pas réservé aux financiers !

Enfin, la méthode donnerait du pouvoir à certaines minorités de l'action syndicale : les retraités, par exemple... tout le monde se fiche bien de voir les retraités en grève, mais s'ils se mettent à retirer quelques milliards d'EUR, çà risque de leur rendre un peu de leur lustre d'antan ! Disons que notre Ministre de l'Economie trouvera soudainement agréable l'idée d'inviter leurs représentants à déjeûner...

Donc, une organisation crédible (syndicale, par exemple) qui menacerait seulement de demander à ses adhérents de manifester en retirant 1.000 EUR de liquide à la banque ferait instantanément figure d'épouvantail... et devrait même légitimement être une cause de terreur absolue : dans le cas où la menace serait mise à exécution, nul ne peut prédire ce qu'il adviendrait du système financier, des taux d'intérêt, et de la valorisation boursière des banques (c'est en celà que la méthode peut être qualifiée de "révolutionnaire" : elle s'en prend à un pilier de l'édifice, et son potentiel d'entraînement n'est pas prédictible).

La simple évocation publique d'une telle possibilité nous forcerait sans doute à réformer le système financier et monétaire (et à le faire réellement, pas seulement en paroles) : faute de quoi celui-ci serait condamné, ensuite, à vivre dans une éternelle incertitude, jusqu'à la prochaine action... Le passage à l'acte ne devrait même pas être nécessaire (ni souhaitable, d'ailleurs, à mon avis !)

Il est étrange que personne n'ait encore songé à faire usage de cette méthode, alors même que nombre de voix s'élèvent pour dénoncer l'absence de contrôle démocratique sur la création monétaire : Parce que çà, ce n'est pas du "contrôle démocratique de la création monétaire", peut-être ?

Et puis, faire passer la revendication par les banques, dans le contexte actuel, serait d'une indiscutable élégance...

mercredi, décembre 17 2008

Immobilier : ne donnez jamais quitus à votre syndic

Si vous avez déjà assisté à une Assemblée Générale de copropriété, vous avez certainement été amené à voter un mystérieux "quitus" à votre syndic - généralement présenté comme une sorte de vote de confiance, voire comme une sorte d'obligation liée à l'exécution du mandat (et souvent malicieusement assimilé à l'approbation des comptes : on entend parfois les syndics parler de "quitus pour la gestion des comptes" (sic)).

Bref, sans doute avez-vous pensé : "après tout, ce syndic fait son boulot, donc je lui donne son quitus" (là, je me mets à votre place, mais j'avoue avoir par le passé commis la même bévue).

Un jour, je me suis tout de même demandé ce que voulait dire "quitus". Alors, voilà :
Un quitus, c'est une exonération de responsabilité sur l'ensemble de la gestion (car un syndic est responsable de ses actes pendant 10 ans... sauf si vous lui donnez quitus : ce délai passe alors à 2 mois).

Pour simplifier, si vous donnez quitus à votre garagiste... tant pis si vous vous tuez au premier tournant parce que la direction est mal montée, vous ne pourrez plus engager sa responsabilité !
Pour le syndic, c'est pareil (par exemple, si vous découvrez ensuite que des travaux mal suivis ou mal préparés ont engendré des dégâts, amusez-vous bien). Seule exception, bien maigre : des actes qui vous auraient été cachés, ou des malversations.

Donc :
- Un quitus n'a pas de lien avec la sincérité des comptes (il y a, d'ailleurs, un point "approbation des comptes" à voter).
- Un quitus n'a pas de lien avec la confiance accordée au syndic (j'ai confiance en mon garagiste, à qui je confie ma voiture - mais jamais je ne lui donnerais quitus !)

Et enfin, un quitus n'est pas nécessaire à l'exécution du mandat (si vous refusez le quitus au syndic, vous pouvez très bien renouveler son contrat et approuver les comptes).

En résumé, donner quitus à votre syndic, çà va à l'encontre de vos intérêts (vous vous coupez toute possibilité de recours contre votre syndic, qui peut rentrer chez lui en se frottant les mains de l'aubaine), çà ne vous apporte aucun avantage, et çà ne sert à rien quant à la gestion de la copropriété.

Alors, la prochaine fois, sauf à être raide amoureux(se) de votre syndic (ou à ne pas comprendre le français), votez contre le quitus : vous constaterez que votre syndic s'en remettra, et même qu'il sera bien content de rester votre syndic, avec ou sans "quitus".

Et pour plus d'info, je vous recommande cet article, très documenté !

P.S. Rassurez vous : les garagistes n'ont pas le droit de vous demander quitus, pas plus que les médecins ou les plombiers... mais cet archaïsme subsiste pour les syndics, sans doute ont-ils leurs entrées dans les couloirs des ministères ?

P.P.S. je ne comprends même pas qu'un syndic ose seulement demander quitus (et généralement, avec quelle mauvaise foi !)

mercredi, août 27 2008

Tintin chez les Talibans, au JT de France 2

Premier titre du 20h de France 2, ce lundi 25 Août : "Nouvelle attaque des Talibans contre les troupes françaises". Bigre, me dis-je, j'espère que cette fois ils sont sortis couverts...

Et la suite : "Notre équipe se trouvait dans le véhicule touché par une roquette"... Alors là, je reste scotché devant mon poste, tout émoustillé à l'idée de voir M. Grizbec s'extraire en slip d'un blindé fumant !

Je ne serai pas déçu : la suite est très au-delà de mes attentes. On y voit quelques images embarquées de l'intérieur d'un blindé, un commentaire qui dit qu'une roquette vient d'être tirée mais n'a pas explosé (précision inutile, aurait-elle explosé qu'elle eût clos à jamais le Bec de M. Griz), un soldat qui ouvre la tourelle, sort nonchalamment, tire quelques coups de Famas avant de revenir prendre place à l'intérieur, prétendant avoir vu des talibans "courir sur la crête" (ah, les crêtins !). Sur ses lèvres, j'ai cru lire "vivement la quille", mais je ne suis pas sûr...

Bon, tout çà n'est pas très militairement correct : un taliban qui tire au milieu du convoi, avec une munition bricolée (puisqu'elle n'explose pas), donc un truc qui ne vole pas bien loin, il est à moins de 100m, et en position dominante vu le terrain. Et là, notre soldat qui sort de sa tourelle, avec de supposés talibans qui l'attendent bien cachés à quelques dizaines de mètres, et il ne sait même pas où...

J'espère au moins que l'office du Tourisme a envoyé quelques talibans sur la crête (parfois on ne recule devant rien pour satisfaire les tour-operators), mais j'arrive même à en douter : les réductions de budget, encore... le Taliban est cher, ces temps-ci, avec l'inflation et le conflit des intermittents.

Quant à M. Grizbec, il est mûr pour couvrir le retour du 15 Août embarqué dans le camping-car de Marcel sur la Nationale 7 : c'est un peu plus dangereux (on perd 5.000 ressortissants sur les routes chaque année), mais maintenant il est aguerri. Et si Marcel voit un Taliban, pas de doute, ce sera dû aux effets du rosé.

Moralité : La Grande Muette a loupé une occasion de se taire.

Mais bon, cessons de faire preuve de "légèreté" (comme dit un certain Général) pour rebondir sur un sujet connexe, mais plus grave : avez-vous entendu le discours de notre cher Président à Maillé ?
Profitant de l'événement pour faire un parallèle avec l'Afghanistan, il traitera les talibans tuant nos soldats de "barbares" et de "terroristes". Fort bien.
A noter que quelques jours après la mort des dits soldats, un raid de la coalition provoquera la mort de 76 civils afghans, femmes et enfants inclus. De celà, bien sûr, il ne fut pas question (et puis, hein, c'est pas nous, c'est les Américains).

A Maillé, les nazis ont pourtant fait la même chose. Et sur le corps de certaines victimes, on aurait retrouvé des messages faisant mention de vengeance contre les "terroristes" : la Résistance ayant exécuté un officier nazi quelques jours auparavant...

Bref, il n'y a rien de nouveau sous le soleil : même rhétorique contre la résistance (les "terroristes" et les "barbares", on a déjà entendu çà, ici), mêmes méthodes de rétorsion. Ca fait plaisir à voir, cette constance de l'homme !

Alors, il y a au moins un point sur lequel je suis d'accord avec M. Sarkozy : nous avons commis une "faute morale". Celle de ne pas avoir su tirer les leçons de Maillé, et d'avoir joyeusement carbonisé femmes et enfants au nom de la lutte sacrée contre les terroristes...

Un jour peut-être irons nous nous excuser, comme ce digne procureur allemand le fit à Maillé, auprès des habitants éplorés de quelque Maillé afghan : gageons qu'enfin, nous en sortirons grandis.

vendredi, mai 30 2008

L'IPSOS est-elle le caniche des Majors du disque ?

Le 27 mai dernier, l'IPSOS a publié un sondage intitulé "Les Français face au téléchargement illégal de musique sur Internet" (commandé par la SCPP, Société civile des producteurs de phonogrammes) :
L'intégralité des réponses est ici.

Du sondage ressortent deux points importants (avis largement majoritaires) :

  • - Les gens pensent que les auteurs doivent être rémunérés quand on télécharge leur musique.
  • - Les gens pensent que la baisse des ventes de disques est en grande partie due au téléchargement gratuit.


Il est déjà notable que l'on parle ici de la rémunération des auteurs : évidemment, aucune question n'a été posée concernant la rémunération des distributeurs ou des producteurs (et rien sur un possible mécanisme de "licence globale", lequel justement rémunérerait les auteurs bien mieux qu'aujourd'hui... au détriment, certes, des intermédiaires !).

Admettons... la suite est plus croquignolette, puisqu'on pose au sondé la question suivante (prenez votre respiration avant de lire !) :

Aujourd’hui un internaute qui télécharge illégalement de la musique sur internet risque une condamnation pénale pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende. A la place, un nouveau projet de loi prévoit que l’internaute qui télécharge illégalement recevrait un avertissement par mail dans un premier temps puis un deuxième avertissement par lettre recommandée s’il continue. Enfin s’il persiste encore, il encourra une suspension temporaire de son abonnement Internet. Personnellement, êtes-vous tout à fait, plutôt, plutôt pas ou pas du tout favorable à ce projet de loi ?

Que signifie cette question ? C'est assez simple, si on la reformule. Elle signifie ceci :

Si l'on propose d'alléger notablement les sanctions à l'encontre des internautes qui téléchargent illégalement de la musique, êtes vous d'accord ?

Et là, 74% des gens sont favorable à l'allègement des sanctions, alors que 23% y sont défavorables (en supposant qu'ils aient compris la question, mais comme je ne prends jamais les français pour des c..., je le tiens pour acquis).

Cette réponse a été interprétée comme suit par Marc Guez, Président de la SCPP (interview sur O1net) :
"Nous avons fait réaliser un sondage auprès des Français. Ils ont apparemment la même perception que nous." (sic). Et le journal d'ajouter, à titre d'explication, que "74 % des Français ne seraient pas hostiles au projet de loi antipiratage du gouvernement", ou encore que "74 % des Français ayant déjà téléchargé sont favorables à la « riposte graduée » prévue par le futur projet de loi (avertissement par e-mail puis par lettre recommandée, voire suspension temporaire de l'abonnement...)".

La dernière phrase est la plus croustillante : 74% des contrevenants sont favorables à un allègement des peines (c'est effectivement dans le sondage), et la SCPP s'en félicite !
C'est comme si le Ministère de l'Intérieur demandait aux fumeurs de joints s'il faut dépénaliser le cannabis, avant de se féliciter qu'ils répondent oui... Je rêve ?

A noter que, tant qu'à poser des questions sur un possible allègement des peines, l'IPSOS s'est bien gardée de poser la question suivante : Si l'on propose de supprimer toute sanction à l'encontre des internautes qui téléchargent illégalement de la musique, êtes vous d'accord ?

J'aurais aimé avoir la réponse à cette question, mais bon, ne rêvons pas... enfin, quand on est un institut de sondage sérieux et qu'on interroge son échantillon sur une alternative, il me semble qu'on se doit d'explorer toutes les possibilités (on parle d'alléger une peine, il faut aussi évoquer son durcissement comme sa suppression, faute de quoi la signification de la réponse perd toute pertinence).

Bon, mais alors, naïveté ou manipulation ?
Marc Guez serait un imbécile ? L'IPSOS un ramassis d'incompétents ? le journaliste de 01Net un amateur ?
Dans ce cas seulement, il conviendrait de leur accorder notre indulgence : car sinon, ils seraient de mauvaise foi - ce qui est, convenez-en, bien plus grave qu'être idiot - et ne mériteraient rien que du mépris...

P.S. La question posée par l'IPSOS (sur l'allègement supposé des peines) masque également un important point de droit, relevé pertinemment par Philippe Aigrain sur son blog - à lire sans modération !

samedi, novembre 24 2007

La grève et le noeud coulant

Enseignant l'informatique à des élèves ingénieurs grenoblois, j'ai eu récemment l'occasion de m'entretenir avec le piquet de grève qui bloquait l'accès à mes salles de TP.

Je leur ai tenu le raisonnement suivant : face au blocage, nous réagissons en le contournant. Pour ma part, j'ai pu me procurer une autre salle, mais sans moyen informatique. Moindre mal : la plupart de mes étudiants étant équipés de portables, ils effectuent leur TP sur leur ordinateur personnel...

Mais certains étudiants ne disposent pas d'ordinateur portable : évidemment, ce sont les plus défavorisés !

La grève, lorsqu'elle s'éternise, tend alors à renforcer un système inégalitaire, une société à deux vitesses : parce qu'on ne va pas tous ralentir uniquement pour se plier au bon vouloir d'une minorité d'activistes, on laisse des gens au bord de la route !

Pour généraliser ce constat, prenons une image simple.
Imaginez que vous soyez entravé par un noeud coulant : en procédant avec clairvoyance, détermination et précision, vous vous libèrerez facilement. Mais si vous vous débattez, vous ne ferez que resserrer l'étreinte !

Cette image est transposable à la grève : une grève est efficace si elle est très suivie, ciblée, et courte.
A contrario, un mouvement long, sans revendication précise ni organisation efficace, produit des effets contraires au but recherché. Et c'est une spécialité française !

Ne pourrait-on trouver là une explication paradoxale au fait que notre économie soit l'une des plus productives au monde ?
Nous sommes un pays de grévistes, spécialistes du mouvement larvé et imprécis.
Conséquence, l'économie s'est adaptée : nous avons automatisé, décentralisé, développé des réseaux parallèles, et sacrifié les activités sensibles à la grève ou à faible valeur ajoutée... au point d'atteindre un degré de performance que même les américains nous envient !

Cette évolution s'est faite au prix d'un accroissement des inégalités - lorsqu'on s'adapte pour contourner, les moins flexibles ou les moins formés restent au bord de la route - et d'une réduction du nombre d'emplois disponibles (ceux-ci devenant, en même temps, plus qualifiés).

Comme dans l'image du noeud coulant, nos syndicats peu représentatifs et désorganisés qui se débattent au lieu d'agir de manière efficace contribuent à resserrer l'étreinte du système sur les travailleurs... au grand profit du patronat, qui crie au loup mais doit au fond se réjouir !

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