Que votre métier consiste à concevoir, organiser, gérer, maintenir ou planifier, nul doute que vous aurez déjà constaté le fait suivant : les systèmes dont vous avez la charge, au fil du temps, deviennent de plus en plus inefficaces, plus compliqués, chaque modification provoque des effets de plus en plus imprévisibles, et toute tentative de simplification devient trop hasardeuse pour être envisageable...

Alors, augmentation naturelle de l'entropie ? Effet de bord de la complexité ? Ou simple incapacité de votre part à gérer et organiser correctement ?

De fait, les systèmes complexes ne sont pas statiques : ils échangent avec l'extérieur, qui évolue, et sont eux aussi contraints à évoluer, ou à disparaître.

Evoluer ne pouvant se faire que dans deux directions : croissance ou décroissance (devenir plus gros ou plus petit, plus véloce ou plus lent, plus riche ou plus pauvre, plus technicien ou plus traditionnel, ou ce qu'il vous plaira, c'est analogue...)

Et encore, dans des limites relativement étroites : une ville, une entreprise, un programme, une économie ou un animal ne peuvent faire croître ni décroître à l'infini leurs principaux caractères (pourquoi, me direz-vous ? les raisons sont diverses, mais connexes. Prenons un exemple avec l'animal : si sa taille change, son volume évolue plus vite que sa surface, ce qui pose rapidement des problèmes de régulation thermique - trop petit, il offre trop de surface par rapport au volume nécessaire à produire de la chaleur... et trop gros, il n'offre pas assez de surface pour évacuer ses calories : les souris ont froid, les éléphants ont chaud !)

Or, chaque évolution (croissance ou décroissance) comporte une part d'irréversible : d'abord parce qu'il n'est pas question de revenir à l'état initial (le monde extérieur ayant depuis évolué), ensuite parce que c'est impossible.

Prenons l'exemple d'une usine (à gaz ? nom générique que l'on prête à toute la galaxie des systèmes complexes, comme par hasard), dont on voudrait moderniser le fonctionnement : d'anciens sous-systèmes vont rester actifs, d'autres seront ajoutés, d'autres remplacés ou rénovés, etc...

Dans ce cadre, la redondance est préférable à la perte d'une fonction : on évite de trop modifier ce que l'on comprend mal, ou ce qui semble remplir sa fonction honnêtement - on se contente de le répliquer ou de l'améliorer.
De plus, sur un système qu'il est souvent impossible d'arrêter, l'arrêt même temporaire d'un sous-système vital (par exemple, dans le but de le remplacer) pourrait avoir des conséquences funestes...

Chaque évolution va alors s'ajouter à un existant sans réellement le remplacer, provoquant une forme de stratification qui réduira l'efficacité du système, y provoquant des redondances, parfois des incohérences. Les erreurs, inhérentes à toute manipulation, vont également s'y accumuler au fil du temps.

Le système finira par être trop inefficace pour remplir sa fonction, même dans un mode dégradé : notre usine, par exemple, devra être désaffectée, démolie et remplacée.

Rien que de très normal, donc : vous voilà donc rassuré, puisque votre compétence n'est pas en cause ?
Ne vous réjouissez pas trop vite : étant vous-même un système complexe, l'adhésion au raisonnement ci-dessus vous condamne à mourir avec lucidité...