Au printemps 1720, le Grand-Saint-Antoine, vaisseau revenant d'Orient, se verra refuser l'accès à la passe de Cagliari avec une violence inqualifiable : Saint Remys, vice-roi de Sardaigne, ayant vu, lors d'un rêve prémonitoire, la peste déferler sur son royaume. Contre toute attente, l'entrée du navire à Marseille marquera le début de la grande peste de 1720... (*)

Aujourd'hui, face à certain virus Mexicain, nos vice-rois modernes s'apprêtent à repousser avec la même virulence tout vaisseau aérien en provenance de ce pays maudit : toutefois, la comparaison s'arrête là. On connait la cause de leur rêve prémonitoire : ils ont allumé la télé.

Et qu'y voit-on ? D'abord, une population mexicaine entièrement masquée; si l'on connaît (depuis Zorro) la promptitude du Mexicain à se masquer, tout de même, qui aurait soupçonné tant d'efficacité ? A moins que l'épidémie n'y traîne déjà depuis des mois, dans l'indifférence générale par-delà le Rio Grande...
Thèse qu'accrédite d'ailleurs la qualification au niveau 5 de la pandémie par l'OMS : cette histoire de virus qui commence au niveau 5, c'est un peu comme une retransmission d'OM/PSG qui commencerait à 3-0, on aurait l'impression d'avoir manqué la première mi-temps...

Bien, donc, notre virus finit tranquillement sa saison au Mexique; c'est normal, l'hiver aussi est un peu fini : les Italiens de la Renaissance avaient nommé la grippe "influenza di freddo", et il ne fait plus vraiment freddo, là bas...
Mais il a atteint un intéressant seuil de virulence médiatique : tout ce monde masqué, les lieux publics fermés, voilà de quoi nous lancer une bonne panique aux conséquences sonnantes et trébuchantes (sauf pour l'Office du Tourisme local, qui ne semble pas faire partie du Consortium...).

Notre ami H1N1 est une bien petite bestiole pour relancer la croissance, mais après tout, au point où on en est, hein... Et puis, çà distraira les masses, dont le mois de Mai fait traditionnellement fleurir l'esprit contestataire.
Qui plus est, nos autorités sanitaires pourraient en sortir grandies : face à un virus en fin de course, elles ne devraient guère avoir de mal à remporter une victoire déjà quasiment acquise. Tout en testant en grandeur réelle leur dispositif...
Il est donc temps de faire entrer l'ennemi en Europe : par l'Espagne, celà va sans dire, toute bonne grippe se devant d'être espagnole (et puis, la bête maîtrise déjà la langue !). Et par la télé, moyen de contamination jugé peu dangereux; encore que : si on passe au niveau 6, je pense prendre des mesures drastiques en masquant mon téléviseur.

Aurait-on alors raison de courir à l'officine du coin réclamer sa dose de Tamiflu (r) ?

Que nenni, bonnes gens : en ce qui concerne les mesures de prévention, nos élites avisées les ont déjà anticipées. Il faut vider les lieux publics ? Dont acte : Lakshmi Mittal a déjà vidé les usines, et Benoit XVI les églises. Ce dernier devrait rapidement annoncer que le préservatif, jugé inefficace contre le sida, protège de la grippe du cochon : ce serait tout bénéfice, tant pour sa réputation que pour l'industrie du Latex.

Le seul à se trouver pris à contre-pied, c'est notre ami Sarkozy : lui qui vient d'interdire de manifester masqué, son inconséquence pourrait bien favoriser la diffusion du virus en ces temps de mobilisation sociale. Mais bon, l'homme a fait du contre-cycle une spécialité : quand on a déjà favorisé les heures supplémentaires alors que le travail se raréfiait, et mis en place un bouclier fiscal avant d'augmenter les impôts, on n'en est plus à une contradiction près.
A moins que les salariés terrorisés par la grippe ne décident finalement de rester cloîtrés : miracle de la croissance virale...

Mais bon, avant de clore ce billet, je tiens à vous faire part de mon intention de profiter outrageusement de cette pandémie : j'ai l'intention de concurrencer le Tamiflu (r) et le Relenza (r).
N'étant pas pharmacien, je ne sais encore rien de la formulation de ma future spécialité. Mais je lui ai déjà trouvé un nom, qui me semble approprié à l'enjeu : l'Influtox (r) ...


(*) L'anecdote fut, en particulier, rapportée par Antonin Artaud en préambule à son essai "Le théâtre et son double".