Laissons un peu de côté le tumulte ambiant, et posons nous la vraie question : Hadopi, c'est quoi ?

Hadopi est une loi sur la technique.

Elle vise à réglementer la manière dont une technique (l'échange de fichiers, pour simplifier) doit se propager dans la société, et ce que doit être son contenu.

En ceci, elle est assimilable à toute loi sur la technique : par exemple, lorsqu'il s'agit de réglementer les OGM, ou le déploiement des antennes-relais, ou la spéculation financière, le problème est exactement identique.

Autrement dit, légiférer sur la technique est indépendant du contenu : et ceci est dû à certaines propriétés de la technique, par ailleurs bien connues, au moins depuis les années 60 (à ce sujet, on s'intéressera, par exemple, aux travaux de Jacques Ellul ou de Marshall McLuhan, entre autres).

Tout d'abord, la technique n'est pas neutre : autrement dit, pour revenir à Hadopi, ce que deviendra l'échange de fichiers ne dépend pas de "ce qu'on en fera", mais ne dépend que de deux paramètres : la nature propre de cette technique, et la nature de l'homme social (ou, dit encore autrement, la manière dont l'échange de fichiers modifiera la société ne dépend pas de notre volonté).

Ensuite, la technique n'est pas "bonne ou "mauvaise" : échanger des fichiers, ce n'est pas "bien" ni "mal" (et pas davantage "moral" ou "immoral"). L'introduction d'une technique peut modifier la société dans un sens plus ou moins bénéfique (ou négatif), mais là encore, c'est indépendant de notre volonté.

Enfin, les effets de la technique ne sont connus que beaucoup plus tard, longtemps après son introduction, essentiellement pour deux raisons : les délais de diffusion profonde de la technique et de ses conséquences, et un certain état de fascination de l'homme (lequel baigne dans un environnement nouveau dont il fait partie, ce qui interdit tout recul) dont la technique induit ensuite de nouveaux comportements (inconnus au départ).
La technique nous transforme autant que nous la transformons, et ce processus prend du temps.

Autrement dit, légiférer sur une nouvelle technique revient à légiférer sur l'inconnu, ce qui ne peut avoir que des effets aléatoires à court terme, puis négligeables à long terme (la loi n'ayant que peu de chances d'être axée sur les bonnes problématiques, encore inconnues au moment où elle est votée).

Ce constat ne peut que rendre divertissant le débat sur Hadopi : quoique racontent ses défenseurs ou ses opposants (et qui tient généralement de la brève de comptoir), et quelle que soit la teneur du texte voté, çà ne changera rien sur le fond, et ceci tient aux propriétés générales de la technique.

Ce qui fait moins rire, c'est que la même conclusion s'applique à toute velleité de réglementer la technique : les OGM ou le nucléaire existent, fort bien, on sait qu'on devra faire avec, applications militaires incluses (n'en déplaise à nos députés et gouvernants, lesquels, au passage, n'y connaissent rien - pas plus que pour Hadopi, et probablement moins - mais "heureusement", on l'a vu, ce détail importe peu, puisque leur pouvoir est inexistant).

Bon, mais revenons à Hadopi.

Il se peut que cette loi ait des effets à court terme : effets aléatoires, on l'a vu. Elle peut ralentir l'échange de fichiers ou l'accélérer, précipiter la fin des majors ou la freiner, faire condamner quelques grand-mères ou quelques vrais "pirates", ou n'être jamais appliquée ni applicable... mais nul ne peut dire ce qui adviendra.

La seule chose dont on est certain, c'est qu'à long terme, Hadopi ne changera rien. Reste à espérer que les mutations sociales liées à l'échange de fichiers nous conduiront dans une direction souhaitable : "le hasard fait bien les choses", dit la sagesse populaire...