Il fut un temps où chaque pays, dans une joyeuse cacophonie, opérait sa propre création monétaire : le temps du franc, de la peseta, du drachme ou du deutsche mark.

En ces temps préhistoriques, les banques centrales dépendaient largement du politique : que les électeurs soient mécontents, et on laissait opportunément filer la monnaie, en faisant tourner la planche à billets jusqu'à plus soif (tout en criant au loup à chaque poussée d'inflation). Et de vils spéculateurs faisaient régulièrement trembler la monnaie nationale...

Ah, les raids de Soros contre le franc, la dévaluation de l'après 1981, ou celle qui suivit mai-68 !

Puis vint l'Europe : BCE indépendante et garante de la "stabilité des prix", traités encadrant les déficits budgétaires, et j'en passe... Bref, fin de non -recevoir pour les Soros et leurs émules : le message est clair, il y a l'euro, notre dollar à nous, et vous ne faites pas le poids face à notre unité regroupée sous la bannière de notre Banque Centrale. Passez votre chemin, messires.

A un détail près : la création monétaire est avant tout question de dette. Et en termes de dette, chaque état assume seul ses choix, et ses engagements.

Les créanciers appliquent donc des taux différenciés à chaque état européen, selon leur évaluation du risque encouru (réel ou supposé). Et les spéculateurs disposent de maints instruments pour influer sur les taux et la création de monnaie des uns ou des autres : notamment, l'influence des rumeurs (la presse, les agences de notation, le lobbying politique...), mais aussi d'intéressants instruments dérivés, comme les CDS ("credit default swap"), titres cotés permettant de s'assurer contre un défaut de paiement, et sur lesquels la spéculation fait rage au point d'en arriver à un intéressant retournement de situation : le marché des CDS influe sur celui des taux, et non l'inverse !

Bref, vous aurez saisi le fond du sujet : tout se passe comme si chaque état disposait d'une monnaie différente, dont il peut émettre des quantités diverses au gré de sa politique, du crédit qu'on lui accorde, et des hasards de la fortune.
Evidemment, les marchés spéculent allègrement sur cette diversité : le trading sur les monnaies nationales a été remplacé par... du trading sur l'émission de monnaie nationale ! Où l'on prend les mêmes...

En d'autres termes, et grosso modo : la France émet des euros français, l'Espagne des euros espagnols, la Grèce des euros grecs, l'Allemagne des euros allemands... Assertion certes approximative, mais perspective éclairante.

Par convention, appelons çà des francs, des pesetas, des drachmes et des deutsche mark : çà sera plus clair, et çà permettra de rétorquer à ceux qui souhaiteraient "sortir de l'euro" (sic)... que l'euro n'a jamais existé que dans leur imagination !

P.S. Certains parlent d' "eurobonds". Auraient-il compris ? (et, si c'est de longue date... de qui se moque-t-on ?)