La grève et le noeud coulant
Par gibello le samedi, novembre 24 2007, 14:45 - Divers... - Lien permanent
Enseignant l'informatique à des élèves ingénieurs grenoblois, j'ai eu récemment l'occasion de m'entretenir avec le piquet de grève qui bloquait l'accès à mes salles de TP.
Je leur ai tenu le raisonnement suivant : face au blocage, nous réagissons en le contournant. Pour ma part, j'ai pu me procurer une autre salle, mais sans moyen informatique. Moindre mal : la plupart de mes étudiants étant équipés de portables, ils effectuent leur TP sur leur ordinateur personnel...
Mais certains étudiants ne disposent pas d'ordinateur portable : évidemment, ce sont les plus défavorisés !
La grève, lorsqu'elle s'éternise, tend alors à renforcer un système inégalitaire, une société à deux vitesses : parce qu'on ne va pas tous ralentir uniquement pour se plier au bon vouloir d'une minorité d'activistes, on laisse des gens au bord de la route !
Pour généraliser ce constat, prenons une image simple.
Imaginez que vous soyez entravé par un noeud coulant : en procédant avec clairvoyance, détermination et précision, vous vous libèrerez facilement. Mais si vous vous débattez, vous ne ferez que resserrer l'étreinte !
Cette image est transposable à la grève : une grève est efficace si elle est très suivie, ciblée, et courte.
A contrario, un mouvement long, sans revendication précise ni organisation efficace, produit des effets contraires au but recherché. Et c'est une spécialité française !
Ne pourrait-on trouver là une explication paradoxale au fait que notre économie soit l'une des plus productives au monde ?
Nous sommes un pays de grévistes, spécialistes du mouvement larvé et imprécis.
Conséquence, l'économie s'est adaptée : nous avons automatisé, décentralisé, développé des réseaux parallèles, et sacrifié les activités sensibles à la grève ou à faible valeur ajoutée... au point d'atteindre un degré de performance que même les américains nous envient !
Cette évolution s'est faite au prix d'un accroissement des inégalités - lorsqu'on s'adapte pour contourner, les moins flexibles ou les moins formés restent au bord de la route - et d'une réduction du nombre d'emplois disponibles (ceux-ci devenant, en même temps, plus qualifiés).
Comme dans l'image du noeud coulant, nos syndicats peu représentatifs et désorganisés qui se débattent au lieu d'agir de manière efficace contribuent à resserrer l'étreinte du système sur les travailleurs... au grand profit du patronat, qui crie au loup mais doit au fond se réjouir !
Commentaires
Très bonne analyse et image qui explique bien la situation.
J'ajoute qques éléments. Le patronat local, national, ne fait plus à lui seul le beau temps ou la pluie. En gros, dans un univers économique qui devient de plus en plus complexe, il y a plus d'un paramètre à prendre en compte. A cette situation, les syndicats font une réponse binaire. Et même s'ils ne font pas une réponse binaire, comme ils sont poussés par leurs éléments les plus radicaux (ceux qui font le plus de bruit) ou qu'ils ne maitrisent pas la sphère médiatique, leur réponse apparait in fine comme étant binaire. Je préfèrerais qu'ils fassent leurs propres offres, des offres packagées donnant-donnant. Une solution plus flexible des syndicats pourraient être de dire "oui" à une modernisation des usines (pour simplifier, disons, une robotisation, un plan d'investissement précis) et à une perte éventuelle de 20 emplois, plutôt de voir partir l'usine en Chine de perdre dix fois plus d'emplois.
Par ailleurs, j'ai l'impression qu'ils visent la mauvaise cible. Ils se plaignent de la délocalisation, mais ils feraient mieux de s'attaquer aux causes de cette délocalisation : certains managers incompétents, qui n'investissent plus, et qui n'ont ensuite pour seules réponses qu'une délocalisation qui n'est pas forcément l'apanage magique que certains croient (ok, le cout unitaire diminue, mais quid du cout total ?). C'est un peu comme la relation de la France avec l'Europe/Bruxelles. Les fonctionnaires francais sont peu présents à Bruxelles, au démarrage de l'élaboration des lois, et se retrouvent ensuite à faire face à des propositions de loi difficiles qui auraient été plus facilement amendables au début de leur vie. Ils feraient mieux de méditer l'apanage selon lequel "Dieu se rit de ceux qui se plaignent des effets, mais chérissent les causes" et adopter une approche plus intégrée, plus pro-active et non pas une approche en bout de chaine. Le même constat s'applique, je crois, pour les syndicats.
Ceci étant, à écrire cela, je me demande si les syndicats ne se trouvent pas dans une situation de type cul-de-sac, du moins, en France. Les syndicats sont devenus minoritaires au fil des ans. Une approche plus intégrée, comme proposée plus haut, impliquerait que les syndicats ne soient plus en bout de chaine des décisions, mais y prennent une part plus active et fassent des propositions (ce qui se passe, je crois, dans les pays européens nordiques, mais pas en France, sauf erreur de ma part). Ceci étant, je ne suis pas sûr que l'organisation des entreprises et la faible représentativité des syndicats permettent cela en France...
Les syndicats se retrouvent sur un pré carré de plus en plus réduit de part la diminution du nombre d'employés syndiqués, dans un univers mondialisé où donc ils comptent de moins en moins, et dans une situation de plus en plus en bout de chaîne tant les décisions sont prises de plus en plus en aval par des groupes financiers dont l'identité devient flou. Ils se condamment ou proposent à leurs adhérents de faux espoirs tant leur pouvoir se réduit.
De ce fait, il n'y a pas 36 solutions il me semble. Face à leurs crispations qui les mènent au bord du gouffre (ou pire, à une désespérance générale lorsque les syndicats auront faits la preuve d'une trop forte dose d'inefficacité), ils doivent faire un effort et gagner des nouveaux degrés de liberté. Personnellement, je suis plus partant d'une solution donnant-donnant, en gros, un peu plus de flexibilité dans les licenciements contre une aide accrue, personnalisée pour rechercher un emploi. Quoiqu'il en soit, il est nécessaire d'essayer qque chose de nouveau, sinon les syndicats n'auront plus qu'une seule solution pour assurer un emploi à leurs membres : monter eux mêmes leur entreprise !