Enseignant l'informatique à des élèves ingénieurs grenoblois, j'ai eu récemment l'occasion de m'entretenir avec le piquet de grève qui bloquait l'accès à mes salles de TP.

Je leur ai tenu le raisonnement suivant : face au blocage, nous réagissons en le contournant. Pour ma part, j'ai pu me procurer une autre salle, mais sans moyen informatique. Moindre mal : la plupart de mes étudiants étant équipés de portables, ils effectuent leur TP sur leur ordinateur personnel...

Mais certains étudiants ne disposent pas d'ordinateur portable : évidemment, ce sont les plus défavorisés !

La grève, lorsqu'elle s'éternise, tend alors à renforcer un système inégalitaire, une société à deux vitesses : parce qu'on ne va pas tous ralentir uniquement pour se plier au bon vouloir d'une minorité d'activistes, on laisse des gens au bord de la route !

Pour généraliser ce constat, prenons une image simple.
Imaginez que vous soyez entravé par un noeud coulant : en procédant avec clairvoyance, détermination et précision, vous vous libèrerez facilement. Mais si vous vous débattez, vous ne ferez que resserrer l'étreinte !

Cette image est transposable à la grève : une grève est efficace si elle est très suivie, ciblée, et courte.
A contrario, un mouvement long, sans revendication précise ni organisation efficace, produit des effets contraires au but recherché. Et c'est une spécialité française !

Ne pourrait-on trouver là une explication paradoxale au fait que notre économie soit l'une des plus productives au monde ?
Nous sommes un pays de grévistes, spécialistes du mouvement larvé et imprécis.
Conséquence, l'économie s'est adaptée : nous avons automatisé, décentralisé, développé des réseaux parallèles, et sacrifié les activités sensibles à la grève ou à faible valeur ajoutée... au point d'atteindre un degré de performance que même les américains nous envient !

Cette évolution s'est faite au prix d'un accroissement des inégalités - lorsqu'on s'adapte pour contourner, les moins flexibles ou les moins formés restent au bord de la route - et d'une réduction du nombre d'emplois disponibles (ceux-ci devenant, en même temps, plus qualifiés).

Comme dans l'image du noeud coulant, nos syndicats peu représentatifs et désorganisés qui se débattent au lieu d'agir de manière efficace contribuent à resserrer l'étreinte du système sur les travailleurs... au grand profit du patronat, qui crie au loup mais doit au fond se réjouir !