Un classique (que vous avez peut-être lu) déjà abondamment commenté, mais peu importe : il est plus que jamais d'actualité !

Foucault inscrit la naissance de la prison dans l'émergence d'une société disciplinaire, et décrit un continuum "carcéral" qui intègre l'école, l'hôpital, l'industrie, l'armée, et les diverses formes de la prison (celle-ci n'en étant que l'ultime degré).

L'ouvrage en place la naissance au 18ème siècle, et fournit de nombreuses références historiques pour l'attester. Cette époque est présentée comme charnière dans le changement des modes de pouvoir :
- Avant, un pouvoir absolu, face auquel tout illégalisme était offense personnelle au souverain. Le supplice, ultime réponse pénale, théâtralisait la vengeance du souverain sur son "ennemi", si besoin en le détruisant par la force.
- Après, un pouvoir disciplinaire, issu de l'évolution économique et démographique (notamment, forte augmentation de la population, nécessitant de nouvelles techniques pour tirer le maximum de chacun et de la collectivité, dans le contecte nouveau de l'industrialisation).

Le pouvoir disciplinaire est à double sens : il assujettit, mais crée également du savoir, en observant ceux à qui il s'applique d'une manière de plus en plus scientifique (Foucault va jusqu'à y voir l'une des principales origines des sciences humaines, et joue sur le mot "discipline" - comme dans discipline médicale, liée à l'introduction de la discipline à l'hôpital dont s'ensuit un savoir de plus en plus structuré en "disciplines").

Fondé sur la "normalité" et la mesure d'un écart par rapport à la norme, le pouvoir disciplinaire s'appuie à la fois sur la Loi (de plus en plus codifiée, et non plus coutumière comme dans l'ancien régime), sur nombre de réglements détaillés qui régissent chaque institution, et sur de multiples examens (scolaires, médicaux, psychiatriques, etc...) permettant à la fois de mesurer chacun par rapport à la norme, et d'individualiser l' "usage" qui en est fait en fonction de ses capacités propres.

Le pouvoir disciplinaire est également fondé sur la surveillance de tous par tous, que Foucault nomme "panoptisme", par référence notamment à Jeremy Bentham (lequel inspira l'architecture de nombreux bâtiments axés sur la surveillance, dite "panoptique", mais dont les travaux prennent un sens plus général dans le contexte d'une société de surveillance).

Foucault met aussi en lumière l'émergence du pouvoir de punir et d'assujettir (celui défini par les règlements des prisons et les décisions hors juridiction, voire arbitraires, qui jalonnent la peine). Ce pouvoir est distinct du pouvoir judiciaire, et chaque institution (école, hôpital, armée, industrie...) en décline sa propre version.

Ce pouvoir extra-judiciaire est indissociable de la discipline : il permet, notamment, d'individualiser le traitement réservé à chacun (par exemple, de libérer un détenu pour bonne conduite, ou d'alléger ses conditions de détention).
Cette individualisation est au coeur du côté "correcteur" de la prison (qui persiste dans les idées modernes de réinsertion des condamnés) : la discipline sert non seulement à contrôler les écarts à la norme, mais aussi à les réduire en "normalisant" les individus (on retrouvera aisément le même arsenal de techniques dans les autres institutions de masse : armée, industrie, hôpital, école...).

En même temps, Foucault constate l'échec relatif de la prison, qui n'est jamais parvenue à farie baisser la criminalité. Dans ce cadre, pourquoi la prison a-t-elle tenu si longtemps, et s'est-elle même imposée comme mode principal de la punition ?

Foucault attribue à cet "échec" une utilité sociale qui le justifierait : la prison serait un mode de contrôle de la délinquance, un lieu où elle se définit et qui devient sa propre limite (le monde de la délinquance étant plus ou moins recouvert par la prison). Cette délinquance, état permanent distinct de l'acte illégal isolé, aurait son propre rôle dans l'ordre social : notamment, l'information (indicateurs, mouchards...), voire une forme de police parallèle, ainsi qu'un ensemble diffus pouvant être utilisé dans le cadre d'illégalismes tolérés (ceux des puissants ou de l'Etat, notamment).
La délinquance ainsi instituée servirait aussi de repoussoir aux "non-délinquants" (lesquels se définissent comme n'appartenant pas à cet autre "monde").

Au final, par le prisme d'un ouvrage dédié à la prison, Foucault étudie en fait l'émergence d'une société disciplinaire : la discipline apparaissant comme une technologie politique adaptée aux formes du pouvoir moderne... tendant même à être si bien assimilée par les individus qu'ils peuvent l'internaliser comme une "morale", devenant alors dociles par eux-mêmes.